Aller au contenu

Page:La Revue blanche, t6, 1894.djvu/339

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Maïmonide et se dénoua par la victoire des obscurantistes sur les partisans du philosophe.

Ceux-ci prétendaient participer au mouvement intellectuel de leur temps et se mêler, sans abandonner leurs croyances, à la société au sein de laquelle ils vivaient. Leurs adversaires tenaient pour la pureté d’Israël, pour l’intégrité absolue de son culte et de ses croyances ; ils estimaient que si les Juifs ne se ressaisissaient pas, s’ils ne rejetaient loin d’eux tout ce qui n’était pas la Loi, ils étaient destinés à périr et à se dissoudre parmi les nations. À leur point de vue étroit et fanatique, sans doute n’avaient-ils pas tort, et c’est grâce à eux que les Juifs persistèrent partout comme une tribu étrangère, gardant jalousement ses lois et ses coutumes, résignée à la mort intellectuelle et morale plutôt qu’à la mort physique et naturelle des peuplades déchues.

Après bien des luttes, ces misérables Juifs, que le monde entier tourmentait pour leur foi, persécutèrent leurs coreligionnaires plus âprement, plus durement qu’on ne les avait jamais persécutés. Ceux qu’ils accusaient d’indifférence étaient voués aux pires supplices ; les blasphémateurs avaient la langue coupée ; les femmes juives qui avaient des relations avec les chrétiens étaient condamnées à être défigurées et on leur faisait l’ablation du nez. Malgré cela, les quelques libéraux résistèrent, et, si, pendant le quatorzième et le quinzième siècles, en Espagne, en France et en Italie, la pensée juive ne mourut pas complètement, c’est à eux qu’elle le dut. Mais la masse des Juifs était entièrement tombée sous le joug des obscurantistes. Elle était désormais séparée du monde, tout horizon lui était fermé ; elle n’avait plus, pour alimenter son esprit, que les futiles commentaires talmudiques, les discussions oiseuses et médiocres sur la loi ; elle était enserrée et étouffée par les pratiques cérémonielles, comme les momies emmaillotées par leurs bandelettes : ses directeurs et ses guides l’avaient enfermée dans le plus étroit, le plus abominable des cachots. De là, un ahurissement effroyable, une affreuse déchéance, un affaissement de l’intellectualisme, une compression des cerveaux que l’on rendit inaptes à concevoir toute idée. Désormais le Juif ne pensa plus. Dans le Talmud, il trouvait tout prévu ; les sentiments, les émotions, quels qu’ils fussent, étaient marqués ; des prières, des formules toutes faites permettaient de les manifester. Le livre ne laissait place ni à la raison ni à la liberté, d’autant qu’on en proscrivait presque, en l’enseignant, la partie légendaire et la partie gnomique pour insister sur la