Page:La Revue blanche, t6, 1894.djvu/341

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c’était donc sur le Juif que tombaient les inimitiés. Le peuple souffrant ne s’inquiétait guère des responsabilités ; il n’était pas économiste, ni raisonneur ; il constatait qu’une lourde main s’abattait sur lui : cette main était celle du Juif ; il se ruait sur le Juif. Il ne se ruait pas que sur lui, et souvent, quand il était à bout de force et de patience, il frappait sur tous les riches indistinctement, tuant Juifs et chrétiens.

Toutefois, parmi les chrétiens, c’étaient seulement les possesseurs qui subissaient la violence des révoltés ; les pauvres étaient épargnés ; parmi les Juifs, on exterminait pauvres et riches, indistinctement, car ils étaient, avant tout crime, coupables d’être Juifs. À la colère d’être dépouillée, la foule ajoutait la répulsion d’être dépouillée par des maudits, et ces maudits étant d’une race étrangère, formant un peuple à part, nulle considération ne retenait plus les spoliés.

Ces sentiments étaient plutôt latents chez les masses. Elles s’attaquaient rarement à la généralité des capitalistes, maintenues qu’elles étaient par l’autorité et par les lois, et il fallait pour les pousser à se rebeller une effrayante accumulation de misères. En ce qui regardait le Juif, leur animosité n’était nullement retenue, au contraire, elle était encouragée, c’était un dérivatif et de temps en temps rois, nobles ou bourgeois offraient à leurs esclaves un holocauste de Juifs. Ce malheureux Juif, durant le moyen âge, est utilisé à deux fins. On se sert de lui comme d’une sangsue, on le laisse se gonfler, s’emplir d’or, puis on l’oblige à dégorger, ou, si les haines populaires sont trop exacerbées, on le livre à un supplice profitable aux capitalistes chrétiens qui payent ainsi à ceux qu’ils pressurent un impôt de sang.

De temps en temps, pour donner satisfaction à leurs sujets trop misérables, les rois proscrivaient l’usure juive, ils annulaient les créances ; mais le plus souvent ils toléraient les Juifs, les encourageaient, certains d’y trouver un jour profit par la confiscation ou, à la rigueur, en se substituant à eux comme créanciers. Cependant, ces mesures n’étaient jamais que temporaires et l’antijudaïsme des gouvernements était purement politique. Ils chassaient les Juifs soit pour refaire leurs finances, soit pour exciter la reconnaissance des petits qu’ils libéraient du lourd fardeau de la dette, mais ils les rappelaient tôt, car ils ne savaient pas trouver de meilleurs collecteurs de taxes. Du reste, la législation antijuive, nous l’avons dit, était le plus souvent imposée aux royaumes par l’Église, soit par les moines, soit par les papes et les synodes.