Goethe a reçu ce matin la visite d’un jeune homme qui a fait d’excellentes études à Leipzig, qui a voyagé en France et en Angleterre et qui a même passé plusieurs années à Oxford. Il était présenté à Goethe par un Anglais, nommé M. Wilde, qui est venu à Weimar l’an passé, et qui pense avoir produit ici la plus vive impression.
— Ce jeune homme, m’a dit Goethe, m’a beaucoup plu. Mais il est venu me demander précisément la seule chose que je sois décidé à ne jamais faire. Il désire que je le recommande à Cotta, et jamais je ne recommanderai personne à qui que ce soit. Quand je lis un ouvrage dont l’auteur m’est inconnu, et que j’y découvre du talent ou même une intelligence bien cultivée, et prête pour les lettres, je suis heureux de le signaler par tous les moyens dont je dispose. Je ne pense pas avoir jamais négligé une occasion d’encourager un jeune homme en qui j’aie cru discerner des promesses d’avenir. Mais si je suis heureux de recommander et de louer une œuvre de valeur, je me refuse à intervenir personnellement pour rendre plus facile à un jeune homme son début dans la littérature.
En principe, il ne faut jamais essayer d’épargner ou d’adoucir à quelqu’un les difficultés de la vie. Nous ne savons pas si ces ennuis, si ces tracas dont nous voulons affranchir la personne qui nous intéresse, ne seront pas pour elle l’épreuve la plus heureuse, la plus efficace. Et quand il s’agit des lettres et des littérateurs, c’est alors qu’il faut observer ce principe le plus strictement. Est-ce que vous n’êtes pas effrayé parfois de voir combien, chaque année, se multiplient les livres nouveaux ? Il n’est pas un jeune homme maintenant, d’une famille aisée et d’une éducation moyenne qui