Page:La Revue blanche, t8, 1895.djvu/525

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de signature. Il me donne aussi l’idée de quelque chose de neuf, de pas usé, qui garde encore, dans ses facettes et dans ses angles, un aspect brillant et tranchant. J’ai songé à rendre cette idée par des métaphores. Je pourrai dire par exemple : le style de M. Hervieu me fait penser à une pièce d’argent qui vient de sortir de la Monnaie. On le sent d’une frappe récente et dure, avec la marque toute fraîche de l’acier, tandis que tant d’écrivains de notre temps s’expriment en phrases amincies et usées, pour avoir passé entre trop de doigts. Mais, en revanche, il me semble que parfois il s’est écarté trop loin de la simplicité classique et du naturel. Je le trouve, en maints endroits, compliqué, obscur et comme tordu sur lui-même. À mon sens, ce sont là des défauts, et je compte en faire à Hervieu une critique modérée, mais franche.

— Allons, dit Goethe, cela ne commence pas mal du tout. Pourtant je veux dès à présent vous faire une question. Ces défauts, que vous reprochez à Hervieu, la complication, l’obscurité, sont-ils, à votre avis, intentionnels ou involontaires ?

— Intentionnels, assurément.

— Eh bien ! alors, il eût fallu vous préoccuper de rechercher et d’exprimer cette intention. Pour ma part, je ne suis nullement certain qu’elle soit blâmable ; mais, au contraire, je la trouve juste et intéressante. Remarquez d’abord que la phrase d’Hervieu n’est jamais inintelligible ; elle est quelquefois difficile, c’est-à-dire que pour bien comprendre, il faut un léger effort d’esprit ; mais, si l’on donne cet effort, on est toujours sûr de comprendre. Eh bien ! ce qu’Hervieu a voulu, c’est précisément que le lecteur fût obligé à cet effort, qu’il ne restât pas distrait et passif, mais qu’il fût contraint de bien comprendre. Avec lui, il n’y a pas moyen de glisser sur la pensée ; on est obligé de la pénétrer jusqu’au fond. Il est faux de prétendre que ce soit là un procédé peu classique. Les plus parfaits de nos prosateurs classiques, La Bruyère par exemple, en ont usé continuellement ; le travail d’intelligence que la phrase exige, pourvu, bien entendu, qu’il ne soit pas excessif, profite toujours à la pensée. Et le lecteur garde encore un peu de reconnaissance à l’écrivain pour ce facile plaisir d’une difficulté vaincue. Les jugements d’Hervieu, ses métaphores sont quelquefois malaisés à bien saisir ; il y faut du temps ; mais au moins l’impression est vive ; elle est nécessaire et elle persiste. Aussi je vous conseillerai de modifier, dans ce sens, votre premier développement. Dites, si vous voulez, qu’Hervieu est parfois un peu compliqué. Mais alors dites pourquoi. D’ailleurs, on pourrait donner encore d’autres raisons. Mais nous verrons cela tout à l’heure. Continuez, mon enfant.

— Il faut passer à mon second paragraphe ?

— Oui, allez.

— C’est surtout dans Peints par eux-mêmes et dans l’Armature que j’ai étudié les idées essentielles d’Hervieu. On a dit qu’il y a du pessimisme et de l’âpreté dans ses peintures ; j’en conviens ; mais, à mon sens, on a un peu exagéré là-dessus. Il a décrit un monde très spécial, très limité, où tous les sentiments et les caractères se ramènent, selon lui, à un petit nom-