Page:La Revue blanche, t9, 1895.djvu/439

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l’insurrection de Barcelone qui, si je ne me trompe, avait eu lieu en 1872 et qui, on le sait, s’était terminée par un échec. Au cours de différents aperçus sur cet événement, Bakounine émit l’avis que la responsabilité de cette insurrection retombait sur les révolutionnaires.

— En quoi donc a consisté leur faute ? demandai-je.

— On devait mettre le feu à l’hôtel de ville. C’est la première chose à faire dans toute révolte et ils l’avaient négligé, dit-il en s’animant.

Ce n’est qu’à la suite de cette conversation que je compris quelle importance Bakounine prêtait à cette « première chose ». D’après lui, la destruction de l’hôtel de ville, dépositaire d’actes et documents officiels, devait jeter le trouble et le chaos dans les classes dominantes. « Beaucoup de privilèges et de droits de propriété reposent sur tel ou tel document officiel, dit-il ; ceux-ci, une fois anéantis, le retour complet à l’ancien ordre de choses serait plus difficile. »

En développant sa thèse, Bakounine fit observer ce fait, très significatif selon lui, que, dans toutes les révoltes, le peuple s’élance d’abord sur les bureaux, les tribunaux, les archives, et il rappela la révolte de Pougatchef, la foule rebelle déchirant avec fureur et anéantissait les documents officiels. « Car, dit-il, le peuple avait compris instinctivement le mal du régime des paperasses et il s’efforçait de le détruire... »

À cette époque, Bakounine ne s’enthousiasmait plus pour les choses révolutionnaires russes. Au contraire, dans ses paroles perçait une sorte de scepticisme à l’égard des Russes. Il se plaisait aussi à railler les Allemands, surtout quand la conversation tombait sur les insurrections allemandes de 1848. Toutes ses espérances étaient concentrées sur les peuples latins, surtout sur les Italiens ; il employait tout son temps et toute son énergie à conspirer au milieu d’eux. C’est pourquoi il trouvait que Locarno, situé à la fontière de la Suisse et de l’Italie, était un point qui lui convenait merveilleusement. C’était le centre révolutionnaire où les conspirateurs italiens venaient secrètement s’entretenir avec lui.

Le plan que Bakounine poursuivait alors était celui-ci : organiser une conspiration se composant d’hommes déterminés, prêts à se sacrifier, et qui se rencontreraient tous, à un moment donné, puis, en un lieu désigné, et l’arme à la main, effectueraient une révolte. On devait attaquer d’abord l’hôtel de ville et passer ensuite à la « liquidation » du régime actuel, c’est-à-dire à la confiscation des propriétés, des fabriques, etc. Cependant, Bakounine était loin de se bercer de l’espoir d’un résultat immédiat.

— Nous devons faire sans cesse des tentatives révolutionnaires, disait-il, dussions-nous être battus et mis complètement en déroute, une, deux, dix fois, vingt fois même ; mais, si, à la vingt-et-unième fois, le peuple vient nous appuyer en prenant part à notre révolution, nous serons payés de tous les sacrifices que nous aurons supportés.

Le deuxième jour après notre arrivée à Locarno, nous allâmes en bateau avec Bakounine visiter à proximité de