Aller au contenu

Page:La Revue bleue, série 3, tome 8, 1884.djvu/688

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quelques briques étaient tombées. Le fou profita des trous laissés par leur chute. Il grimpa jusqu’au faîte du mur, saisit les branches d’un orme qui se trouvait de l’autre côté et se laissa glisser sans bruit le long de l’arbre jusqu’à terre.

Il se précipita vers la place connue, près du perron. La fleur était là, se détachant en clair, malgré l’obscurité, sur l’herbe mouillée.

— La dernière ! murmura le fou. La dernière ! Aujourd’hui il s’agit de vaincre ou de mourir. Du reste, il m’est égal de mourir. Attendez, ajouta-t-il en regardant les étoiles ; je vais bientôt venir vous trouver.

Il arracha la plante, la mit en pièces, l’écrasa et retourna dans sa chambre par où il était venu. Le vieux dormait toujours. En arrivant à son lit, le fou tomba dessus, évanoui.

Le matin, on le trouva mort. Son visage était paisible et serein. Avec ses traits ravagés, ses lèvres minces et ses yeux enfoncés, il exprimait une sorte de joie orgueilleuse. Quand on le plaça sur la civière, on voulut ouvrir sa main et lui ôter la fleur rouge ; mais la main était devenue raide et il emporta son trophée dans la tombe.


Vsévolod Garchine.


VERS INÉDITS DU XVIIe siècle

Peut-on les attribuer à Bossuet ?

I.


Le chercheur qui, en fouillant une bibliothèque, fait ce qu’il croit être une découverte petite ou grande, fille du hasard et de la curiosité, se trouve partagé entre deux sentiments : l’espérance d’avoir mis la main sur un document précieux, et la crainte réfléchie de n’avoir rencontré qu’une pièce sans valeur, imprimée peut-être depuis longtemps. Plus la trouvaille paraît intéressante, plus cette appréhension est salutaire, et, s’il s’agit d’une œuvre inédite d’un grand écrivain, sur lequel tout semble avoir été dit, la prudence doit aller jusqu’à la méfiance.

Les vers que je publie sont des vers du xviie siècle ; ils sont au nombre de soixante-quatre, divisés en seize quatrains, dont chacun forme un petit morceau détaché, mais qui sont faits évidemment — comme les quatrains de Pibrac, leurs aînés d’un siècle — pour se trouver ensemble, à cause de l’ordre d’idées qu’ils expriment, Une note placée après les vers et datée de 1672 nous apprend que ces seize quatrains sont écrits de la main même de l’élève de Bossuet, le grand Dauphin, né en 1661 et élève de Bossuet depuis 1670. Chaque quatrain est d’ailleurs signé quatre ou cinq fois par l’enfant, qui paraît s’être exercé tour à tour à perfectionner son écriture encore mal assurée et à signer son nom, Louis, en gros caractères. Si l’on voulait d’autres preuves, on pourrait les trouver dans l’écriture du Dauphin et jusque dans le filigrane du papier {quatrains 1, 3, 5, 6, 10, 11 et 13).

Ce manuscrit se trouve à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, sous la cote RF 48 (in-quarto).

Dans le catalogue sommaire dressé en 1803, il est intitulé : « Sentences en vers français pour l’éducation du Dauphin fils de Louis XIV, avec cette addition au crayon, qui date de cette année même 1884 : « Autographes du jeune prince, 1672. » Le grand catalogue, qui date du xviie siècle, porte une indication plus longue (page 618) : « Livre contenant des sentences en vers françois propres à l’éducation d’un Dauphin (sic) fils de Louis le Grand, au bas desquelles se trouve Louis. Dans ce livre sont deux feuilles détachées renfermant des thèmes que fit Louis XIV en 1647, » Comme on peut penser, les deux feuilles détachées ont disparu, classées autre part ou recueillies par quelque amateur, et nous devons faire notre deuil de ces thèmes de Louis XIV.

Si nous ouvrons le manuscrit, une note à l’encre, écrite à la première page en 1753, sans doute pour un récolement, nous apprend que dès cette époque il faisait partie de la Bibliothèque Sainte-Geneviève : Æx tibris Bibliothecæ Sanctæ Genovefæ Parisiensis, 1753. Par quelle voie y était-il arrivé ? Nous l’ignorons, et peu importe. Ce que nous savons par la note de la fin, c’est qu’il n’était qu’une partie d’un cahier du Dauphin, que son maître d’écriture Gilbert le donna comme autographe de prix à un certain Baudry de la Giraudière, à Saint-Germain-en-Laye, le mercredi 4 juin 1672, et que le bienheureux collectionneur se promit de le conserver religieusement en souvenir, écrit-il, « du mérite incomparable de ce grand prince, né du mariage de l’invincible monarque Louis XIV, roi de France et de Navarre, et de Marie-Thérèse d’Autriche, file d’Espagne, reine de France, ses père et mère », Ce cahier, magnifiquement relié en maroquin rouge, avec fleurs de lis d’or, armes du Dauphin[1], croix et collier de l’ordre du Saint-Esprit, est une espèce d’album composé de vingt-six folios, dont neuf blancs ; des dix-sept autres, seize portent au recto un des seize autographes, collé soigneusement au milieu de la page : sur le dix-septième folio est écrite la note dont j’ai parlé. Les quatrains sont numérotés, mais par une autre main que celle du Dauphin et avec une encre plus noire. Ils sont certainement la dernière partie d’une série dont la première nous manque : le dernier quatrain est une sorte de péroraison ; le premier, au contraire, est une suite, qui suppose le mot justice dans les vers précédents.

  1. Au 1 et 4 de France, au 2 et 3 d’or au dauphin d’azur.