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Page:La Revue bleue, tome 49, 1892.djvu/241

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vraies de tous les arts, combien ne le sont-elles pas davantage d’un art comme celui du théâtre, qui peut se passer, nous l’avons dit aussi, qui s’est effectivement passé plus d’une fois d’être proprement littéraire, et qui n’en a pas moins été du théâtre et de l’art ! Au théâtre, comme ailleurs, plus manifestement qu’ailleurs peut-être, c’est par une série de transitions ou de degrés insensibles que les œuvres s’échelonnent ou se classent au-dessus les unes des autres ; et comme il ne se peut pas qu’il n’y ait déjà de l’art dans les chefs-d’œuvre du métier, de même je ne sache pas de chef-d’œuvre de l’art à la beauté de qui ce que le métier semble avoir d’abord de plus « manuel », — de plus matériel, si je puis ainsi dire, — n’ait contribué pour sa part[1].

Il y a du « métier » dans le théâtre de Beaumarchais ; il y en a même beaucoup, et, après avoir vu l’autre jour le drame bourgeois, le drame de Sedaine et de Diderot, faute d’un peu de métier, ne pouvoir pas s’organiser d’une manière durable, vous comprendrez, messieurs, ce que je veux dire, et quel genre d’éloge je fais du Mariage de Figaro quand je dis que le succès en a rétabli le métier dans ses droits au théâtre. Au point de vue l’évolution, c’en est là le mérite ; et c’est ici, comme nous le verrons, le passage de la comédie classique à la comédie ou au drame romantiques… Ironie singulière de la fortune, effet moqueur du hasard, grande leçon aussi pour les critiques et les auteurs, qu’à une époque où tous les hommes de lettres, préoccupés de je ne sais quelles visées plus ambitieuses, eussent fait volontiers profession de mépriser le « métier », il ait ainsi été rétabli dans ses droits par un homme d’affaires, par un spéculateur, par un boursier…

Ferdinand Brunetière.

L’AME FRANÇAISE ET LES UNIVERSITÉS NOUVELLES Selon l’esprit de la Révolution[2].

IV.
qu’est-ce qu’une université ?

Mais comment donc se fait-il que la Science apparaisse aux Français sous un jour aussi faux ?

Nous voilà arrivés à la question technique des Universités.

Comment ? C’est que l’Enseignement supérieur qui est chargé d’élaborer la Science a été, chez nous, si mal constitué par le premier Empire qu’il n’a pu donner que des produits incomplets ou faussés. D’un atelier défectueux, en dépit de la valeur des hommes, n’a pu sortir qu’une œuvre défectueuse.

Un simple rapprochement : les instituts d’enseignement supérieur s’appellent, chez nous, Facultés, et partout ailleurs en Europe, Universités. Facultés et Universités ! Ce simple rapprochement de deux mots ne suffit-il pas à évoquer un pénible contraste : langueur et ferveur, stérilité et fécondité ?

Facultés et Universités ! En vérité, le contraste est saisissant.

Mais d’où vient cette stérile langueur de nos Facultés en ce siècle ?

Tout de suite, en deux mots, je réponds : la Science vit d’unité et de liberté… C’est pourquoi Napoléon a décrété : dislocation et sujétion !

Je m’explique.

Ce qui caractérise essentiellement les sciences, c’est qu’elles dépendent les unes des autres, et ne dépendent. d’ailleurs de rien autre. Inter-dépendance étroite au dedans, et in-dépendance absolue au dehors : telle est rigoureusement leur nature, leur condition, leur loi.

Cette inter-dépendance des sciences est aujourd’hui un fait incontesté.

Qui ne sait combien les sciences physiques (Faculté des sciences) agissent sur les sciences biologiques (Faculté de médecine) ? Et les sciences morales (Faculté des lettres) sur les sciences juridiques (Faculté de droit) ?

En bloc, qui ne voit comment le grand groupe des sciences matérielles (Faculté des sciences et Faculté de médecine) et le grand groupe des sciences spirituelles (Faculté des lettres et Faculté de droit) sont destinés à agir et réagir de plus en plus l’un sur l’autre et à se féconder réciproquement ?

C’est Diderot qui paraît avoir le premier saisi fortement cette solidarité et cette unité.

C’est du moins le témoignage que lui rend Auguste Conte dans les termes suivants :

« … L’énergique sagesse de Diderot avait institué l’atelier encyclopédique… une telle concentration tendait à rappeler le but organique au milieu du travail critique, en ramenant toujours la pensée vers la construction d’une synthèse complète… »

Encyclopédie, concentration, synthèse, organisme : voilà bien, en effet, les mots essentiels.

Une Université, c’est le faisceau des quatre Facultés, c’est la synthèse des sciences, c’est une classification en acte, c’est un édifice organique, c’est un encyclopédisme vivant.

  1. Voyez, pour le développement de cette idée, le beau Rapport sur les arts appliqués à l’industrie, par le comte de La Borde. Paris, 1851. Ce rapport a été écrit à l’occasion de l’Exposition universelle de 1851.
  2. Suite et fin. — Voy. le numéro précédent.