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Page:La Revue bleue, tome 49, 1892.djvu/242

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M. Liard a là-dessus une comparaison juste et charmante :

« Dans l’Université, dit-il, les Facultés, tout en restant individuelles, ne sont plus compartiments étanches et impénétrables. Comme ceux des fruits cloisonnés, ces compartiments distincts ont des parais communes et perméables, et tous s’ouvrent sur le même cœur. »

Avec moins d’ingéniosité et plus d’énergie fruste, on. pourrait dire : les quatre Facultés sont les quatre membres du corps Université.

Or, qu’a fait le premier Empire ? Il a écartelé le corps pour en disperser les membres. Il a disloqué l’Université, pour en éparpiller les Facultés… disjectæ membra scientiæ

Ainsi l’Empire a fait œuvre de mort.

Eh bien, la république, elle, veut faire œuvre de vie.

Ce que l’Empire a désuni, la république veut le réunir. D’où le présent Projet de loi pour concentrer les forces éparses et ramasser les Facultés en Universités.

Mais, qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas seulement d’obtenir le voisinage, la contiguïté, la juxtaposition, dans une seule ville, ou même dans un seul édifice.

Il s’agit d’organiser, par le commerce des hommes, la pénétration des études.

De là l’idée d’une Assemblée générale des professeurs. De là l’idée d’une Association générale des étudiants.

C’est ainsi que chaque professeur et que chaque étudiant sera amené à se situer dans l’ensemble, à relier sa science spéciale à l’arbre encyclopédique, et à l’y nouer comme le rameau au tronc.

C’est ainsi que sera provoquée une transformation — respective et réciproque — des étudiants et des professeurs.

Mais ceci même ne suffirait pas. À ces groupements généraux, extérieurs et indéterminés, il faut ajouter des groupements spéciaux, déterminés et intérieurs. Et c’est ici qu’apparaît la seconde condition requise par la Science, à savoir, outre l’unité, la liberté.

L’organisme scientifique est-il définitivement constitué ?

Tant s’en faut. Il est encore en plein travail d’évolution. Des différenciations et des corrélations nouvelles s’élaborent incessamment dans ses profondeurs. De nouveaux éléments surgissent, et de nouveaux rapports s’établissent. Ce travail intime, ce devenir mystérieux, celte genèse sacrée, exigent une liberté absolue.

C’est pourquoi, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, l’Empire a décrété la sujétion !

Eh bien, la république a jugé qu’il fallait sans plus tarder restituer à la Science sa condition la plus vitale, l’indépendance. La république veut que les professeurs soient maîtres de leurs programmes.

Les professeurs pourront donc, selon leurs inspirations personnelles et collectives, soit modifier les enseignements anciens, soit établir des enseignements nouveaux.

Ils pourront surtout essayer de nouveaux groupements de cours empruntés aux diverses Facultés ; et cela conformément à une appréciation de plus en plus juste et de plus en plus profonde des rapports organiques que les sciences soutiennent entre elles. C’est-à-dire qu’ils pourront, à l’aide d’expériences attentives et soutenues, faites par eux de concert avec les étudiants, perfectionner de jour en jour l’empirique organisation universitaire correspondant à une « artificielle » classification des sciences et nous rapprocher de plus en plus de ce but idéal : une organisation rationnelle fondée sur une classification « naturelle ».

Enfin, comme sanction à ces nouveaux groupements de cours, ils pourront instituer de nouveaux diplômes, diplômes exclusivement scientifiques, ceux-là, et destinés à marquer le niveau des études, et pour ainsi dire l’étiage intellectuel, — à côté ou plutôt au-dessus des diplômes vulgaires, simplement professionnels, en attendant que l’État puisse transporter la collation de ces derniers à qui de droit, c’est-à-dire aux Administrations respectives, et consommer ainsi l’affranchissement intellectuel des Universités.

Il faut y insister, en effet : la Science vit de liberté. L’Office intellectuel n’est pas un simple mécanisme administratif. Le savant est libre, ou il n’est pas. Domestiquer la pensée, c’est la tuer.

Le penseur ne relève que de sa conscience et de l’opinion ; — non d’une mesquine opinion locale et momentanée, mais de cette large et haute opinion qui constitue comme un invisible tribunal où siège éternellement l’élite universelle des époques et des races.

Unité et liberté, au lieu de dislocation et sujétion. Voilà donc la réplique républicaine au prononcé impérial.

Mais ce n’est pas tout. Ce n’est même qu’une moitié de l’œuvre de réforme.

J’ai parlé de liberté, de liberté de programme, voilà qui est parfait. Mais, il faut bien le dire, au fond, il n’y a pas de liberté réelle sans la propriété. J’ose le déclarer : la propriété seule fonde la liberté.

Et voici de nouveaux horizons qui s’ouvrent devant nous.

Si on veut faire libres les Universités, il faut les faire propriétaires.

C’est ce que voyait à merveille Alexandre de Humboldt, quand, après Iéna, il procédait à la création de l’Université de Berlin :

« Humboldt voulut créer une grande Université, et s’occupa d’abord de lui trouver une demeure digne d’elle.