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Page:La Revue bleue, tome 49, 1892.djvu/244

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Ainsi, praticiens et théoriciens, au lieu de s’ignorer, ou, qui pis est, de se dédaigner réciproquement, au grand détriment les uns des autres, se connaîtront et se grandiront dans un étroit et perpétuel commerce.

Corps publics et Corporations privées groupant leurs sympathies autour des Universités régionales : voilà donc pour l’élément popularité.

Mais, de leur côté, les Universités, ainsi moralement et matériellement encouragées, pourront-elles ne pas répondre à tant de faveur par un renouveau d’ardeur ? Les individus ou les groupes ne donnent-ils pas précisément en proportion de ce qu’on attend d’eux ?

Une émulation féconde s’éveillera donc entre les maîtres d’une même Faculté, entre les Facultés d’une même Université, — et surtout entre les Universités des diverses régions.

Et c’est ici qu’apparaît un quatrième et dernier élément, la rivalité.

Sur ce point je ne donnerai qu’une indication, brève, mais capitale : Ce sont des grands professeurs qui font les grandes Universités, et ce sont les grands traitements qui attirent ou retiennent, par des situations dignes d’eux, des grands talents.

Si Lyon veut rivaliser victorieusement avec Nancy ou Bordeaux, le moyen est bien simple : qu’il ait seulement, par exemple, un Max Muller, un Pasteur, un Humboldt, un Berthelot, un Mommsen.

Mais, qu’on ne s’y trompe pas, un Max Muller n’ira pas à Lyon pour six ou dix mille francs.

Que faire alors, dites-vous ? Je réponds : Vous êtes « personne civile », et propriétaire ; gros ou petit propriétaire, peu importe, On peut faire beaucoup, même avec peu d’argent, à condition de savoir habilement l’employer.

Appliquez vos ressources plus encore au « personnel » qu’au « matériel ».

Et, là encore, n’éparpillez pas : concentrer.

Par exemple, avez-vous vingt ou trente mille francs disponibles ? Eh bien, au lieu de créer deux ou trois chaires médiocres pour deux ou trois médiocrités, créez une seule chaire richement dotée, ouvrez un concours en Europe, et attendez le résultat. Bientôt vous verrez arriver dans votre ville un gaillard de talent qui vous attirera du plus loin, pendant un quart de siècle, les étudiants par milliers.

Les autres Universités voudront en faire autant, et l’élan imprimé à la vie scientifique du pays sera immense.

Le mieux serait que chaque donateur dotât exclusivement telle chaire, et que les dotations fussent cumulables, et tout virement interdit.

D’ailleurs, chaque région pourrait et devrait même, à mon avis, se faire une spécialité, d’après sa tradition, Je vois très bien, par exemple, Toulouse, Montpellier, Lyon, etc., se constituer ainsi respectivement, grâce à d’illustres spécialistes habilement attirés, de petits monopoles de fait, qui pour le droit, qui pour la médecine, qui pour les sciences industrielles, etc., etc.

Alors les talents feront prime, au plus grand bénéfice de l’activité intellectuelle et morale de la nation.

Aussi bien, c’est un fait notoire : l’Office scientifique, en France, est dérisoirement payé. Aussi les intelligences se détournent-elles trop souvent vers les carrières plus lucratives, industrie, banque, barreau.

Or il n’y a plus désormais d’autres princes que les princes de la pensée. Sachez donc leur faire dans la science de princières situations, et d’ici cinquante ans ils vous auront changé la face du monde.

Résumons :

Le régime des Facultés peut se caractériser par quatre mots : dislocation et sujétion, abandon et stagnation.

Le régime des Universités devra pouvoir se caractériser par quatre autres mots correspondants : Unité et liberté, popularité et rivalité.

Au lieu de « la mort partout », ce serait « la vie partout ! »

Le présent Projet de loi espère donc notamment créer sur les principaux points du territoire d’ardents foyers de vie scientifique et patriotique, d’énergie mentale et nationale.

Beaucoup d’esprits déjà, à Paris et en province, entrent dans ces hautes espérances. Je ne citerai ici qu’un ou deux témoignages, d’abord celui de M. Aynard, député de Lyon, qui, dans son « Lyon en 89 », a écrit les remarquables lignes suivantes :

« Un grand courant de vie circule dans notre Enseignement supérieur, dont les maîtres éminents… travaillent de toutes leurs forces à établir des relations étroites entre les diverses branches du haut enseignement et à former le faisceau d’une grande Université lyonnaise.

« On comprend ici l’importance d’une création qui aurait une si grande influence sur l’esprit général et aiderait à son relèvement ; dans le but de la poursuivre, on vient de former une Association des Amis de l’Université de Lyon.

« Si nous pouvons obtenir pour notre ville la fondation de la première Université provinciale, ce sera peut-être une grande date dans l’histoire morale de notre pays. »

C’est qu’en effet, il faut bien l’avouer, la Révolution a broyé la vieille France en une poussière de Municipalités sans vie, sans force et sans initiative. Les Départements, eux aussi, sont des mécanismes, et point des organismes. L’absence de vie locale, d’autonomie