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Page:La Revue bleue, tome 49, 1892.djvu/245

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régionale, de self-government provincial, tel est depuis lors, de l’aveu de tous les penseurs, le vice essentiel de la constitution française, son mal profond, et, peut-être, s’il se prolonge, son mal mortel.

Un grand corps anémique et une tête hypertrophiée, un pays atone et une capitale fébrile : voilà la France d’aujourd’hui, languissante et spasmodique…

Vais-je donc critiquer amèrement la Révolution ? Je n’ai garde. Peut-être faut-il dire de l’émiettement administratif ce qu’en disait récemment un publiciste parisien :

On ne saurait affirmer que ce fût une faute dans la pratique… Il fallait, en effet, sortir des vieux cadres usés et rigides… Les nouveaux cadres n’étaient pas prêts ; le temps seul pouvait les reformer. En détruisant l’obstacle à cette reconstitution, la dispersion momentanée des forces fut une cause de progrès…

La Révolution est donc hors de cause. Mais le fait n’en est pas moins là : il n’y a plus guère de vie locale dans notre France contemporaine, — si tant est qu’il y en eût encore au xviiie siècle…

Eh bien, quoi donc est capable de ranimer nos léthargiques provinces, et de réveiller ces « belles au bois dormant » ? Quoi, sinon la constitution sur les principaux points du territoire de plusieurs grandes et puissantes Universités ?

C’est ce qu’a fort bien vu aussi le publiciste que je viens de citer :

La réforme (universitaire) proposée au Parlement, dit-il, aura une portée plus grande que celle de l’Enseignement supérieur. Les Universités sont des foyers où se réchauffe l’âme nationale, où se vivifie l’esprit public

L’Université deviendra le centre des intérêts vitaux de la région. Les grands propriétaires, les chefs d’industrie, les directeurs des grands établissements commerciaux ou financiers, non moins que les ingénieurs et les hommes de science ou de lettres, auront une tendance à se grouper autour du berceau de leurs études. Là, sous l’œil et avec le concours de leurs anciens maîtres, ils aimeront à discuter les questions qui les intéressent, les projets qui les concernent. Là se débattront, sous l’influence des mœurs et des habitudes locales, sous l’empire de nécessités et de traditions particulières au milieu, avec le tempérament de la race, les problèmes de l’économie politique et sociale, Là se formera le lien de solidarité entre les groupes, les syndicats, les associations de tout ordre d’une région déterminée…

En un mot, la constitution sur la surface du territoire de plusieurs grands foyers de pensée scientifique et philosophique, rien certainement n’est plus capable de réveiller ou de raviver la vie locale, et l’énergie mentale et morale dans la France entière.

V.
rattachement nécessaire de la religion à la science, c’est-à-dire des églises aux universités.

Telles sont les bases philosophiques profondes et la grave portée politique de la réforme universitaire que le Gouvernement vient de soumettre au Parlement.

Cette réforme-là, c’est la seule dont j’ai voulu parler aujourd’hui.

Mais, je l’ai dit au début, et j’y reviens expressément pour finir, cette réforme scientifique et universitaire peut et doit se compléter par une autre, à savoir la réforme religieuse et ecclésiastique.

C’est qu’en effet la Vie spirituelle des nations comprend deux fonctions, l’Office scientifique et l’Office religieux, et deux organes correspondants, l’Institution universitaire et l’Institution ecclésiastique.

Ces deux fonctions et ces deux organes, loin de s’exclure, comme on croit, s’impliquent et se complètent respectivement, — comme s’impliquent et se complètent l’Élite et la Foule.

La Vérité, élaborée sur les sommets, par l’Élite pensante, dans ces foyers scientifiques qu’on appelle les Universités, doit être, au fur et à mesure, canalisée et distribuée dans les profondeurs du Peuple, par ce qu’on pourrait appeler le véhicule religieux ou le réseau vasculaire des Églises.

Un actif laboratoire de Vérité, un vaste système distributeur, et l’exacte corrélation des deux, — telle est, en effet, nous le savons, la triple condition requise pour procurer la vie, la santé et la force à l’Ame nationale.

Cette organisation profonde et puissante de la Vie spirituelle, d’autres races paraissent l’avoir jusqu’à un certain point réalisée. Nous, hélas ! nous en sommes encore à la rêver !

La Révolution l’a ébauchée. Mais la guerre civile et la guerre étrangère ont traversé l’ébauche.

Puis l’Empire est venu qui a rasé l’œuvre et les ouvriers, l’ébauche et le rêve même !

A nous, encore une fois, à nous de relever l’entreprise, avec une foi obstinée.

Oui, en faisant résolument la Réforme scientifique et universitaire, nous pouvons aussi amorcer hardiment la Réforme religieuse et ecclésiastique.

Que faut-il pour cela :

Ce qu’il faut ? Je le dirai brusquement et tout net : il faut faire passer par les Universités nouvelles les dix mille Séminaristes de France.

J’entends d’ici le tolle… Mais raisonnons :

1° Si l’État a cru pouvoir et devoir dire : les Séminaristes à la Caserne ! à plus forte raison peut-il et doit-il dire : les Séminaristes à l’Université !