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LA REVUE DE FRANCE

à Charlemagne l’abandon des territoires qu’il avait si longtemps réclamés en vain au roi Didier.

L’avenir, cette fois, était assuré. Nous ne chercherons point à préciser ce qu’il fut. Mais il faut se garder de cette illusion qu’en créant l’État pontifical les Carolingiens aient donné au chef de l’Église une sérieuse garantie d’indépendance.

Du pouvoir temporel, le pape n’eut guère que l’ombre. Hadrien lui-même, malgré sa fierté, fut obligé de subir le protectorat franc. Son successeur Léon III, invité expressément à se confiner dans la prière, connut l’humiliation de comparaître devant Charlemagne en accusé, dans sa propre capitale, et dut tolérer l’intervention continuelle des représentants de l’administration franque à l’intérieur de ses frontières. Et quand enfin, en 824, à l’avènement d’Eugène II, les rapports des deux puissances dans l’État de saint Pierre furent réglés par un acte officiel, l’autorité du pape fut réduite à si peu de chose au point de vue politique qu’on ose à peine prononcer ici le mot de souveraineté : ses fonctionnaires, avant d’entrer en charge, doivent être présentés à l’empereur carolingien, — ce qui revient à subordonner leur nomination à son agrément ; ils reçoivent ses « recommandations », — autant dire ses instructions ; ils sont placés sous le contrôle permanent d’un de ses « délégués » en résidence à Rome et exposés à voir leurs jugements cassés par lui ; le territoire pontifical est même soumis à l’inspection régulière des missi dominici, comme une simple province de l’Empire franc. Et un acte annexe ajoute que le pape ne peut être consacré qu’après avoir prêté serment de fidélité entre les mains de ce même délégué impérial, de qui dépendent déjà tous les officiers pontificaux.

On était loin du programme ambitieux ébauché dans la fausse « donation de Constantin » ! Le pape était chef d’État, mais d’un État paradoxal, aussi mal constitué géographiquement que mal conçu politiquement. Née dans l’équivoque, la « République de l’Église romaine », — comme l’avait nommée d’abord Étienne II, — semblait appelée à disparaître avant peu de la carte du monde.

Néanmoins le hasard voulut qu’elle ne rencontrât en face d’elle, pendant des siècles, aucune puissance capable de la détruire. Et elle dura.

Louis Halphen.