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QUESTIONS D’HISTOIRE

missible que l’autorité du roi franc s’exerçât par delà le Tibre jusque dans les duchés de Bénévent et de Spolète ? Ces deux duchés furent donc revendiqués à leur tour. — Et le reste de la péninsule ? Pourquoi ne tenterait-on pas quelque jour de le réclamer aussi ? Quelle gloire alors pour la papauté, maîtresse souveraine de l’Italie, comme l’avaient été les empereurs, et bientôt, qui sait ? maîtresse de l’Europe !

Ces chimères avaient suffisamment pris corps pour qu’on ait pu, vers ce temps, imaginer de toutes pièces dans l’entourage d’Hadrien un faux, de fabrication grossière, aux termes duquel Constantin le Grand était censé avoir abandonné au pape Sylvestre « et à tous ses successeurs sur le siège du bienheureux Pierre jusqu’à la fin des siècles » ses droits souverains « tant sur la ville de Rome que sur toutes les provinces, lieux et cités d’Italie et des régions occidentales ». Cet abandon fantastique était justifié par le désir de laisser en Occident le champ libre à la papauté et était accompagné du transfert, au profit du chef de l’Église, de toutes les prérogatives et de tous les insignes de l’Empire : « le diadème, la mitre, le pallium, la chlamyde de pourpre, la tunique d’écarlate et les autres vêtements impériaux ; le sceptre, les bannières, les ornements impériaux, toute la pompe impériale enfin ». Les clercs attachés au service de l’Église romaine étaient assimilés aux sénateurs, dont ils étaient autorisés à porter le costume ; le pape pouvait les créer « patrices et consuls » et leur conférer « toutes les autres dignités impériales ». Bref l’empereur était censé avoir abdiqué en Occident au profit du Souverain Pontife, qui voyait s’ouvrir devant lui des possibilités indéfinies de « restitutions » à obtenir.

À quelle date précise le programme pontifical en était-il arrivé à s’élargir à ce point ? On ne peut le dire[1]. On sait toutefois qu’Hadrien essaya, au printemps de 778, de jouer, dans une de ses lettres, de l’arme — médiocre à raison de sa nature même — que constituait ce faux audacieux et outrancier. Mais Charlemagne ne s’y laissa pas prendre — et l’on n’insista pas.

Hadrien comprit qu’il valait mieux s’en tenir à des revendications plus modestes et, à force d’insistance, finit par arracher

  1. On a même songé à reporter avant le pontificat d’Hadrien, — sous Paul Ier (757-767) ou sous Étienne II (752-757), voire plus tôt encore, — la fabrication de cette pièce fameuse. L’enchaînement des faits rend ces hypothèses assez peu vraisemblables. Ce qui est certain, c’est qu’Hadrien s’empara du faux et essaya d’en tirer parti.