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LETTRES INTIMES

Ainsi Descartes était abstrus en 1690, et aujourd’hui nous avons l’impression qu’il écrit comme une cuisinière. La langue scientifique de son temps a pénétré dans la conversation banale.

Voilà qui explique mon impuissance à vous exposer en détail les modifications quotidiennes du français. Sur vingt transformations esquissées, une ou deux d’ailleurs, au plus, resteront acquises. Nous sommes dans un moment de violences spirituelles. Tout paraît évoluer vertigineusement, mais il y aura beaucoup de déchet. Il est, en plus, probable que les centaines de milliers d’étrangers immigrés en France apporteront, d’instinct, des déformations complémentaires au français. Quelques-unes dureront. N’est-ce pas dans un milieu latin qui pourtant ne l’était pas purement qu’on dut commencer à dire « liber de Petri » au lieu de « liber Petri » (le livre de Pierre), qui est classique et normal. Mais je me sens aujourd’hui incapable de vous dire quel sort le polonais, l’arabe et le piémontais feront subir à la langue de Rabelais et de Voltaire.

Croyez, je vous prie, à mes sentiments déférents et dévoués.

Renée Dunan.