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Page:La Revue des revues de 1890 à 1900, 1899, T3.djvu/140

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Mme Paul Junka, qui a écrit un roman si moderne et si palpitant d’émotions douloureuses : La Nouvelle Paroisse, aime, on le voit, les grandes figures de fière allure.

Mme Bogelot, qui a mis la philosophie en action et qui a tant contribué au relèvement des pauvres déchues, a étendu un peu la question et avant de nous proposer son modèle, elle nous donne quelques feuillets curieux des mémoires d’une féministe ; nous les publions avec la satisfaction de voir ainsi notre enquête éloignée de son cadre sans que nous y soyons pour rien.

Madame,

Si vous m’aviez demandé mon idéal à 20 ans je vous aurais répondu qu’à cet âge et bien avant je l’avais formulé hautement. Un jour, j’avais près de 14 ans, ma maîtresse de pension, mes compagnes et moi étions allées, c’était une grande récompense, assister à la première communion et à la confirmation des enfants de la paroisse d’Ivry. Les parents d’une élève étaient les amis du curé de cette paroisse et nous valaient cette invitation. On fit la promenade à pied de Balignolles à Ivry. Dans ce temps-là les joies étaient simples et coûtaient peu.

Le prédicateur de ce jour de grande fête répétait fréquemment la même phrase pour la bien enfoncer dans l’esprit et le cœur de son auditoire. Pertramit benefaciendo — puis il la traduisait sur tous les tons : grave, doux ou sévère.

Je tremblais dans tout mon être en l’écoutant et je me répétais en moi-même : « Ah oui, il est beau que l’on dise de vous : elle a passé en faisant le bien ». Voilà sans doute le point de départ de ma vocation. La cérémonie achevée, l évêque et sa suite rentrèrent au presbytère, ma pension était de l’escorte. Quel honneur pour des enfants de voir et d’entendre de si près de si hauts personnages !

Petits ou grands on a de la curiosité et ce qui est plus élevé que nous, nous charme, nous attire, nous captive. Il est d’habitude qu’un Évêque donne la bénédiction aux personnes qui l’entourent.

Avant de nous bénir et de quitter le presbytère, Monseigneur adressa la parole aux élèves de ma pension en leur demandant ce qu’elles espéraient faire plus tard dans la vie. Moi qui n’étais peut-être pas timide ou qui étais plus forte, je me sentais encore toute électrisée par la parole vibrante du prédicateur. Je répondis spontanément « Monseigneur, quand je serai grande, je soignerai les femmes malheureuses et les enfants sans mère.

Mais alors, répondit l’évêque, il faudra couper vos grandes boucles blondes et être religieuse. — Mes cheveux, Monseigneur, cela m est égal de les couper, mais je ne serai jamais religieuse, j’aime trop ma liberté. » Chacun fut saisi de la vivacité de ma réponse. L’Évêque reprit : « Très bien, mon enfant. » — J’étais orpheline de père et de mère et quoique très entourée, j’avais sans doute déjà beaucoup réfléchi sur le sort des enfants sans mère.

Ma bonne maîtresse a conservé le souvenir de cette petite scène