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LA REVUE DU MOIS

de ces notions limites, comme le solide parfait, le fluide parfait, qui sont commodes sans doute, mais dont il ne faut pas être les dupes.

J’ajoute qu’on ne me paraît pas faire assez attention à la relativité de cette notion : rien n’échappe à la relativité. Le déterminisme suppose une pensée ; c’est pour une pensée que les choses sont déterminées. Les choses sont déterminées, cela veut dire : il est possible de connaître les choses. Le déterminisme en soi, tout seul, n’a pas de sens. Veut-on dire, en affirmant le déterminisme, que les choses se sont passées, se passent ou se passeront de quelque façon ? C’est une pure niaiserie, que je ne vous prête pas. Non, il faut entendre les choses se passeront d’une façon certaine. Certaine pour qui ? Pour un être pensant. Tout est connaissable, intelligible, tout peut être objet de pensée.

Quelques-uns se sont plu à imaginer les lois naturelles comme impliquées les unes dans les autres, à la façon des propositions mathématiques, et dominées par un système de formules qui les contiendrait toutes. Qu’est-ce qu’une formule, sinon un assemblage de signes ? Et des signes sont moins que rien s’ils ne sont pas pensés.

Je ne veux pas du tout discuter ces conclusions, ou ces hypothèses. Mais elles me ramènent à mon point de départ. Si elles sont vraies, le bel épiphénomène que la pensée ! Et vraiment, vous avez eu tort de railler la petitesse de notre taille ; je pose à nouveau ma question du début : sommes-nous distincts de ce que nous pensons, et en quoi ? Voici que nous embrassons le système solaire ; nous le pensons ou il se pense en nous ; assurément nous connaissons mal ce système solaire qui est nous et que nous sommes ; mais, d’un autre côté, voici que nous commençons à compter et à mesurer les atomes que nous ne verrons jamais. Du système solaire, nous passerons à la voie lactée, et, de l’autre côté, nous atteindrons les propriétés de l’atome. La voie lactée, la molécule matérielle, la cellule vivante, prendront en nous conscience de ce qu’elles sont. Et nous, les hommes, la conscience obscure que nous avons les uns des autres s’illuminera. Tout cela n’est pas bien sûr ; mais faisons notre possible pour que « l’essai ne manque pas par notre faute », et puissent nos descendants parvenir au paradis de M. Poincaré, où ils s’abîmeront dans la contemplation de la vérité ! Amen.