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LA REVUE DU MOIS

intellectuelle dans laquelle il aimait à vivre avec nous, indispensable, à son sens, entre le maître et l’élève et qui se développe quand tous deux vivent au laboratoire. Il racontait aussi un trait montrant bien la simplicité qui présidait à ses relations avec nous : attardé un jour à l’heure du déjeuner devant son tableau à la recherche d’un problème avec deux élèves des toutes premières promotions, il trouva la porte fermée par le garçon et ils durent tous trois, comme trois écoliers, descendre du premier étage le long d’un tuyau voisin de sa fenêtre. Il disait surtout la nécessité de l’affection mutuelle, simple et transparente chez lui, si bien rendue par les vingt générations d’élèves et d’amis qui l’applaudissaient d’enthousiasme ce jour-là.

Il resta treize ans dans ce même poste de chef de travaux, tant il se sentait parfaitement heureux entre sa famille, ses élèves et son laboratoire, dans la fécondité de son travail scientifique dont il ne songeait même pas à tirer parti pour améliorer une situation très modeste, craignant surtout de perdre, en changeant, la liberté de sa vie laborieuse.

Riche déjà d’une production de premier ordre, il lui répugnait de quitter en solliciteur l’atmosphère du laboratoire ; il profitait de la facilité avec laquelle on oublie les meilleurs quand ils vivent à l’écart. À son père qui s’inquiétait parfois de ne pas le voir docteur, il répondait que rien ne le pressait et qu’il se trouvait bien ainsi.

Il consentit enfin, en mars 1895, à présenter comme thèse son travail commencé depuis plusieurs années, chef-d’œuvre d’habileté expérimentale, sur les propriétés magnétiques des corps à diverses températures.

Cette époque marque un changement profond dans son existence par son mariage avec Mlle  Marie Sklodowska. La jeune physicienne, après de brillantes études à la Sorbonne, était restée au laboratoire des recherches de M. Lippmann, et Curie connut là celle qui devait être la compagne de son rêve.

Me voici conduit à dire quel fut dans la vie de Pierre Curie le rôle de cette noble femme qui le pleure aujourd’hui, et qui, debout dans sa douleur, poursuit leur œuvre commune, présente tout le jour, comme aux temps meilleurs, dans le labo-