Page:La Revue du Mois, tome 2, 1906.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
158
LA REVUE DU MOIS

que notre regard doive, pour parcourir ainsi le plancher, s’élever considérablement (ce dernier fait réfute l’opinion d’après laquelle l’élévation apparente de la mer serait due à l’élévation du regard passant du rivage à l’horizon).

Enfin, l’apparence surbaissée que présente le jour la voûte céleste a son analogue également pour la mer : la courbe de l’horizon de mer peut paraître aussi, en quelque sorte, surbaissée. Supposons une côte rectiligne s’étendant à perte de vue à notre gauche et à notre droite et la mer devant nous : la ligne de l’horizon ne nous paraîtra pas circulaire ; il nous semblera que la distance de l’horizon à nous soit plus grande du côté de la côte que suivant une direction perpendiculaire au bord de l’eau. L’explication de cette apparence est essentiellement la même que pour la voûte céleste ; c’est que, lorsque nous regardons suivant une direction presque parallèle au rivage, nous pouvons comparer alors les objets distincts que nous apercevons sur l’eau, vagues, bateaux, rochers, à ceux que nous voyons sur le sol à peu près dans la même direction, et les percevoir comme plus éloignés que ces objets, alors que, si nous les apercevions suivant une direction perpendiculaire au rivage, ils pourraient nous sembler à une distance inférieure à celle de ces objets.

En résumé, l’illusion d’une voûte céleste ne s’explique ni par des raisons physiques, ni par des raisons anatomiques. Les conditions de cette illusion sont psychologiques et se rattachent à celles de la perception des distances ou profondeurs. La voûte céleste est avant tout un phénomène de perception, bien qu’on ne doive pas nier, pourtant, que le souvenir et l’imagination ne puissent contribuer à quelque degré à produire l’illusion ; en fait, il s’agit de souvenir lorsqu’un nuage, voisin de l’horizon, nous paraît plus éloigné qu’un clocher d’église auquel nous le comparons, et qui est distant de nous de plusieurs kilomètres. L’illusion d’une voûte céleste, en tant que phénomène de perception, est essentiellement un phénomène de vision binoculaire[1]. Pour que l’illusion soit très nette, il faut que des

  1. Il ne faut pas conclure de là qu’un borgne ne puisse avoir l’illusion d’une voûte céleste. Il se développe chez les borgnes, grâce à la parallaxe « monoculaire », résultant des mouvements de la tête et des changements de position de l’œil dans l’espace qui en sont la conséquence, une perception monoculaire de la profondeur qui devient probablement à peu près aussi parfaite que la vision binoculaire de l’homme normal. Chez celui-ci cette perception monoculaire de la profondeur n’a pas besoin de se développer et reste rudimentaire.