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LA REVUE DU MOIS

assez peu d’importance, tandis qu’elle a depuis reconquis une place toute prépondérante.

Sur l’un des deux plans de verre parfaitement parallèles recouverts d’argenture qui constituent le condensateur étalon, un fin trait circulaire au diamant sépare la région centrale de la portion périphérique formant anneau de garde. Ces deux portions sont nécessairement mal isolées l’une de l’autre par le sillon étroit et long qui les sépare, de sorte que la mesure est par là rendue très difficile quand on réunit le disque central à un électromètre.

Par une application assez cachée d’un théorème de réciprocité sur les coefficients d’influence, Curie montra qu’on supprimait d’un coup toute difficulté d’isolement en reliant l’électromètre à l’autre plateau non muni d’anneau de garde et susceptible d’un excellent isolement par les cales de quartz qui le séparent du premier. La différence de potentiel qui sert à faire la mesure, au lieu d’être établie entre les deux plateaux, existe maintenant entre le disque central et son anneau, mais bien que ce dernier ne fonctionne plus du tout à la manière ordinaire, le résultat, la charge appelée par influence sur le plateau isolé, reste rigoureusement le même que dans le premier montage.

Lord Kelvin, père des électromètres et des anneaux de garde, présent à la séance, crut à une erreur et le dit à Curie. Mais le lendemain, l’illustre savant, presque septuagénaire, venait lui-même voir à son laboratoire le jeune préparateur pour retirer ce qu’il avait dit la veille, aussi simplement que Curie l’eût fait lui-même. Il n’a laissé passer aucune occasion de manifester la haute opinion qu’il avait de mon maître, et c’est aussi beaucoup à lui que Curie doit d’avoir été, beaucoup plus vite qu’en France, apprécié à sa valeur dans le milieu scientifique anglais. De là sont partis les honneurs qu’on a voulu lui rendre.

En mai 1903, sur l’initiative de Kelvin, l’Institution royale de Londres invitait Curie à venir faire une de ses conférences du vendredi, dans la chaire où enseignait Faraday, et cet honneur est à lui seul une consécration. La réception faite à cette occasion à Curie et à sa femme fut réellement un triomphe. Le plus délicieux souvenir que j’en aie conservé est celui de l’affection touchante que témoignait Kelvin et du respect filial dont il était payé. Je les vois encore tous deux, Curie soutenant la marche un peu pénible de l’illustre vieillard, descendre l’escalier