pour l’apparence d’un résultat égoïste immédiat. Voici deux fleuves : la Meuse et le Rhin, canaux admirables créés sans effort de l’homme et désignés pour servir de débouchés aux régions richement pourvues de la Lorraine française et du bassin d’Essen : un sage pourrait penser que, reconnaissants des dons inappréciables que la nature leur a faits, les hauts riverains de ces voies privilégiées, vont confier au courant de ces fleuves les richesses qu’ils tirent du sol pour les expédier vers des marchés lointains ? Mais les bouches du Rhin ne sont pas Allemandes : aussi le Zollverein dépense-t-il les marks par centaines de millions pour créer, en territoire Allemand, des débouchés à ses produits. Mais la Meuse finit en Belgique : aussi l’exemple de l’Allemagne obligera-t-il la France à dépenser des sommes analogues pour réaliser l’œuvre de déversion correspondante : le canal du Nord-Est.
Qui donc profitera, finalement, de ces efforts gigantesques et contradictoires ? Ils appauvrissent les nations qui les font et la vieille Europe s’épuise ainsi pour le plus grand profit du nouveau monde. Surtout la misère est accrue par ces pertes de force vive : quand la culture devient plus intensive, l’industrie plus productive, les communications plus économiques, la somme de jouissances réservées à l’espèce humaine s’accroît, et l’on peut dire qu’un progrès est réalisé. Mais quand le travail s’emploie à torturer la géographie, à créer des routes inutiles, à maintenir, par la trop grande multiplicité des communications, une exploitation défectueuse et coûteuse de celles-ci, à diviser à l’infini la production, à en fausser les conditions même, ne voit-on pas que ce travail est aussi vain que celui de Sisyphe et qu’en l’accomplissant l’humanité peine sans profit ?
Si l’on mettait à part les dépenses dont le résultat peut se traduire par une utilité quelconque, morale ou matérielle, on trouverait que le total des efforts « stériles » nécessités par l’organisation douanière de l’Europe continentale s’élève chaque année à quelques milliards.
Et je ne cite enfin que pour mémoire, sans la faire entrer en ligne de compte, la folie contagieuse des armements, issue de l’impérialisme, ce frère du protectionnisme. Qu’est-ce donc qui a fait l’empire Allemand ? Le Zolleverein : nos désastres de 1870 n’ont fait que sceller, consacrer pour longtemps — pas pour toujours peut-être ce que le « chauvinisme douanier » avait