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LA REVUE DU MOIS

Ainsi, parmi les États de l’Europe continentale, c’est l’Allemagne qui profite du régime protectionniste ; abondamment pourvue en matières premières, elle n’a nul besoin d’étendre chez elle la protection jusqu’à la base même de l’industrie ; de la résulte un double avantage : la nourriture à bon marché pour ses usines, et, pour son agriculture, la faculté de fermer le Zollverein à l’importation étrangère sans se fermer à elle-même les marchés étrangers.

Voilà comment a pu se réaliser cette sorte de cimentation économique de l’empire allemand ; nous la vantions tout à l’heure en l’opposant à éparpillement des vitalités françaises, mais il est juste de dire maintenant que l’heureux aménagement des voies de communication et la sagesse politique n’ont pas tout fait ; il fallait autre chose pour mettre d’accord le Landtag et le Reichstag, pour faire un tout solide de ces intérêts si disparates : les intérêts agrariens des hobereaux prussiens, les intérêts quasi libre-échangistes de l’Allemagne du Sud ; pour que l’industrie ne payât point la rançon de l’agriculture, — ou réciproquement — il fallait encore qu’elle eût, dans un fret lourd très abondant, dans l’importance intrinsèque du marché national, dans le rayonnement occasionné par la puissance de l’Empire et le débordement de sa population, l’amorce d’un courant puissant d’exportation.

Ces considérations permettent de comprendre ce qui semble d’abord inexplicable, à savoir : comment la marine marchande de l’Allemagne a pu prendre, sous le régime de protection douanière, nous dirions presque malgré ce régime, l’admirable extension que l’on sait.

L’Allemagne est donc dans la logique de ses intérêts en maintenant, en étendant sa politique protectionniste ; les nouveaux traités de commerce qu’elle a récemment conclus sont autant de victoires pour elle ; la voilà qui vient de dire hautement qu’elle entend englober dans son domaine douanier la Belgique et la Hollande ; si l’on donnait à chaque chose son nom, le régime protectionniste pourrait s’appeler le régime allemand. Bismarck n’a pas attendu que ce système s’impose aux vaincus comme une sorte de remède homéopathique au malaise provoqué par la saignée de 1870 : nos tarifs sont de 1892 ; les siens sont de 1879 ; c’est donc en Allemagne que le protectionnisme est ressuscité, non plus comme un vieux moyen de défense, de bar-