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MADAME DARGENT

et fume dans une espèce de poussière glacée… Écoute-moi bien. Tu tournes à droite… Voici l’hôtel discret, la haute porte qu’on pousse, la loge claire, le couvert mis, sous la lampe… Et puis c’est le sable qui grince, le perron, la chaude haleine du nid… Elle m’attend… J’ai rendez-vous… Il est dix heures. Regarde-la bien. Ho ! Ho ! par terre ! sur le dos ! Regarde-la bien maintenant : les hauts talons jouent du tambour sur le tapis, ses beaux yeux obscurs fixent quelque chose, au-dessus de la porte, et, chaque fois qu’elle essaye de soulever le bras, il sort de sa poitrine crevée de l’air et du sang. Ah ! ah ! ah ! c’et fini maintenant, vois-tu ! Comme au troisième acte de l’Énigme… Mais je suis plus forte que Mme Giraldi et je ne tremble pas, moi.

Il l’écoute, sans un geste, en silence, et on lit dans son regard, en même temps que l’horreur, une indéfinissable curiosité. Puis, d’une voix qui défie :

― Tu perds ton temps. Je ne suis pas dupe ! Il n’y a de vrai dans tout ceci qu’une chose ― peu de chose ― ta perfide et secrète pensée. Ta vanité, ton envie, ta haine ― oui ! une haine de vingt années ― crève à présent comme un abcès… J’ai eu des torts, bien sûr, ajoute-t-il avec ingénuité. Oui, c’était mon fils, je ne le nie pas. Il est mort, cela est passé. Tu n’as tout de même pas la prétention de me laisser, en partant, tes fantômes, ton mauvais rêve, ton cauchemar ! Je suis un homme sensé, moi ! Je suis un homme sain ! Quelle horreur ! Comment pouvais-je m’attendre ? Pourquoi veux-tu empoisonner ta dernière heure et t’outrager toi-même ?

Et il ajoute, baissant le ton, presque tendre :

― Repose-toi, voyons. Oublie tout ceci. J’ai peut-être parlé trop durement. Mais je ne songeais plus à ta maladie, à tes souffrances, à rien… C’est idiot… Tu ne sais pas le mal que tu m’as fait !

― Je n’ai pas menti, dit-elle, méfiante. Tu ne comprends pas…