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LA VIE LITTÉRAIRE

province qu’elle peint est toujours, par un côté, celle de Balzac : le goût d’épier le voisin, la curiosité infatigable, l’interprétation de ce qu’on observe, de ce qu’on devine, sont de tous les temps. Mais certaines peintures éclairent les transformations d’après-guerre. La bourgeoisie ruinée agonise. Dans la poussière de quelques greniers, les petits rentiers meurent de faim, au milieu des épaves de leur mobilier, et rêvant encore — les malheureux ! — au relèvement des fonds russes. Les vitrines mêmes de la petite ville reflètent l’évolution rapide des mœurs. La mercière, devenue modiste, se dénomme Jane, à l’anglaise. Le lampiste expose des fers électriques et des appareils de T. S. F. À côté du cinéma, et du tapissier-décorateur, vous voyez d’ici la figure archaïque que font les bons vieux marchands, vendeurs de moines pour chauffer les lits, et de panières d’osier à roulettes, à l’usage des marmots qui ne savent pas encore marcher seuls. En traits bien choisis, Mme Tinayre peint la vie provinciale de notre temps, éblouie et trépidante, qui se met peu à peu sur le rythme de l’auto et du phonographe.

Que le changement de décor ne nous trompe pas ! À côté des vitrines tapageuses, il y a les façades noires et secrètes. Il y a la maison Capdenat, où s’est embusquée l’ennemie en robe grise, et en souliers plats. La province reste décidément pour les romanciers une riche matière, abondante en drames, et où le crime est d’autant plus saisissant qu’il reste si longtemps couvé !


JEAN BALDE.