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Page:La Revue socialiste - 1897 semestre 2.djvu/269

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et l’admiration s’épanchent avec plus de plénitude et d’intensité. Le primitif venait de créer ; il se sentait homme !

Cependant, au milieu des périls et des difficultés qui l’entourent à ses commencements, peut-être est-ce la crainte qui le préoccupe le plus ? Il a sa vie à défendre contre les monstres hideux et gigantesques des caux, des marais, des plaines et des forêts, qui promènent autour de lui leur formidable avidité. Il est victime du désordre des éléments qui règne encore dans l’âge quaternaire : secousses du sol mal affermi, écroulements, inondations, fureurs du vent, fracas du tonnerre, chute de la foudre, engloutissement, ou débordement, des lacs, destruction des choses et des êtres.

Ses sens lui ont fourni, de même qu’au simple animal, l’idée de cause dans sa production immédiate. Il ne voit pas le moteur de ces bouleversements ; mais le sens humain embryonnaire le lui fait cher- cher derrière l’effet qui éclate : il sait que la cassure des branches sur le sentier est l’œuvre de son semblable ou de lui-même, et pour lui toute action est l’œuvre d’une volonté, c’est-à-dire d’un être individuel. Ce ne peuvent être que des volontés puissantes et terribles celles qui ébranlent ainsi la terre et les cieux ?… Il n’est qu’un fétu dans leurs mains !…

Invisibles !… et d’autant plus redoutables, il se prosterne devant elles, en les suppliant de l’épargner ; s’efforce de les toucher par son humilité, sa terreur et ses sacrifices. — Tous les dieux primitifs (deve- nus civilisés) sont méchants et sanguinaires. Cela se voit à leurs coups ! Et il les comprend si bien, l’homme ! Il n’a pas besoin pour les con- naître de les avoir vus. Lui aussi ne se fait-il pas un jeu d’écraser l’in- secte ? d’étouffer l’oiseau ? de frapper l’enfant, la femme ?… Et dans l’éclat de ses jalousies, de ses colères, ne goûte-t-il pas une joie féroce à détruire son semblable ? Entièrement égoïste dans ses amours comme dans ses haines, chargé de sa subsistance et de la défense de sa propre vie, entouré d’ennemis, de dangers, de concurrents, insuffisamment armé par la nature, l’homme, à peine sorti de l’animalité, est à la fois craintif ct méchant. Tandis que l’animal, alerte et gracieux, s’ébat au soleil, con- fiant en la subtilité de son odorat, la finesse de son ouïc, l’agilité de ses pattes, ou de ses ailes, pour grimper en un clin d’œil au sommet de l’arbre, ou s’envoler dans les airs, ou disparaître dans l’abîme, — lui, l’humain, la tête penchée sur sa poitrine, défiant, inquiet, tressaille au moindre bruit ! Il redoute, soit l’amphibie des grands fleuves, soit le python énorme qui peut, se jetant sur lui, l’enlacer de ses nœuds hor- ribles ! le vampire des soirs, l’hydre des marais, le lion rugissant des nuits, le tigre féroce : tous les monstres de l’ombre ou du midi, des caux ou des cavernes. Il se nourrit de faibles animaux ou des fruits de