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Page:La Rhétorique des putains, 1880.djvu/23

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fait fermer par des treillis de bois, au travers desquels elle pouvait bien voir les passants, mais sans être vue.

Il arriva un jour que, par une occasion extraordinaire, il se faisait dans la ville une réjouissance publique et solennelle. Elle était toute seule à la maison, et pour tout soulagement, elle regardait au travers de la jalousie le monde qui passait. Mais était-ce un vrai soulagement pour elle ? Non ; c’était le plus cruel tourment. Voir toute la ville dans la joie ; voir les gens, même les plus abjects, bien parés, très contents, et elle prisonnière, affamée, elle presque nue… au beau printemps de son âge… Dieu ! dans un état si affreux, qu’il est difficile de ne pas renoncer à la vertu !

Elle distingue parmi la foule une vieille, couverte de haillons, qui marche les yeux baissés, un chapelet à la main, un crucifix devant sa poitrine, et qui à chaque pas soupire vers le ciel ; elle voit que cette femme s’arrête devant sa porte, frappe, et d’une voix plaintive demande un verre d’eau au nom du Sauveur.

Angélique — c’est le nom de cette fille — émue de pitié, descend, lui ouvre et veut partager avec elle le seul morceau de pain qu’elle gardait pour son souper.

Marthe — c’est le nom de la vieille — l’en remercie vivement, ferme la porte, l’embrasse avec la plus grande tendresse, l’arrose de larmes