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RÉFLEXIONS OU SENTENCES

XLIII

L’homme croit souvent se conduire lorsqu’il est conduit[1] et pendant que par son esprit il tend à un but[2], son cœur l’entraîne[3] insensiblement à un autre[4]. (éd. 1*.)

XLIV

La force et la foiblesse de l’esprit sont mal nommées ;


    maxime 30, où 11 reconnaît que nous avons plus de force que de volonté. — « L’homme, dit Pascal (Pensées, article XXV, 27), n’agit point par la raison qui fait son être. » — Sénèque (épitre lxxiv) pensait de son côté que la raison nous donne toujours assez de force, mais à la condition qu’on l’aime :Ama rationem ; hujus te amor contra durissima armabit. « Aime la raison ; cet amour t’armera contre les plus rudes épreuves. » — La Bruyère (de l’Homme, no 137) : « J’ose presque assurer que les hommes savent encore mieux prendre des mesures que les suivre, résoudre ce qu’il faut faire et ce qu’il faut dire, que de faire ou de dire ce qu’il faut. » — Voyez la maxime 243.

  1. Var. : L’homme est conduit, lorsqu’il croit se conduire. (1665.)
  2. Var. : il vise à un endroit. (1665.)
  3. Var. : l’achemine. (1665.) Peut-être ce mot, qui s’accommode mieux avec insensiblement, est-il à regretter.
  4. Pascal dit dans le même sens (Pensées, article VII, 4) : « Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment. » Cette maxime n’est, au reste, qu’un commentaire de la 102e : « L’esprit est toujours la dupe du cœur, » et ce commentaire, l’auteur l’a emprunté à Mme de Schonmberg, qui s’exprime ainsi dans la critique qu’elle avait faite de quelques maximes de la Rochefoucauld, à la prière de Mme de Sablé (voyez dans le présent volume, Pensées de Mme de Schomberg, etc.) : « Je ne sais si vous l’entendez comme moi, mais je l’entends, ce me semble, bien joliment, et voici comment : c’est que l’esprit croit toujours, par son habileté et par ses raisonnements, faire faire au cœur ce qu’il veut ; mais il se trompe, il en est la dupe ; c’est toujours le cœur qui fait agir l’esprit ; l’on suit tous ses mouvements, malgré que l’on en ait, et l’on les suit même sans croire les suivre. » — Voyez aussi les maximes 103, 108 et 460.