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Page:La Rochefoucauld - Œuvres, Hachette, t1, 1868.djvu/237

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ET MAXIMES MORALES

CLXXIV

Il vaut mieux employer notre esprit à supporter les infortunes qui nous arrivent qu’à prévoir celles qui nous peuvent arriver[1]. (éd. 1*.)

CLXXV

La constance en amour est une inconstance perpétuelle, qui fait que notre cœur s’attache successivement à toutes les qualités de la personne que nous aimons[2], donnant tantôt la préférence à l’une, tantôt à l’autre : de sorte que cette constance n’est qu’une inconstance arrêtée[3] et renfermée dans un même sujet. (éd. 1*.)

  1. Var. : … son esprit à supporter les infortunes qui arrivent qu’à pénétrer celles qui peuvent arriver. (1665.) — Voyez la maxime 168. — Cicéron (de Natura Deorum, livre III, chapitre vi) : Ne utile quidem est scire quid futurum sit ; miserum est enim nihil proficientem angi. « On ne gagne rien à savoir ce qui doit arriver ; car c’est une misère de se tourmenter en vain. » — Sénèque (épître xcviii) : Calamitosus est animus futuri anxius. « Malheureux est l’esprit qui se tourmente de l’avenir. » — Le même (ibidem) : Plus dolet quam necesse est, qui ante dolet quam necesse sit. « Qui s’afflige d’avance, s’afflige trop. » — Quintilien (de Inslitutione oratoria,livre I, chapitre xii, 11) : Minus afficit sensus fatigatio quam cogitatio. « La souffrance même nous accable moins que la pensée de la souffrance. » — J. J. Rousseau (Émile, livre II) : « La prévoyance qui nous porte sans cesse au delà de nous, et souvent nous place où nous n’arriverons point, voilà la véritable source de nos misères. »
  2. Pascal (Pensées, article V, 17) : « On n’aime jamais personne, mais seulement des qualités. »
  3. Var. : n’est que notre inconstance arrêtée. (Manuscrit.) — L’abbé de la Roche estime avec raison que cette réflexion est un peu tirée, et la Harpe (tome VII, p, 264) la déclare bonne « pour une chanson ou un madrigal. » — Vauvenargues dit avec plus de décision (maxime 755, Œuvres, p. 477) : « La constance est la chimère de l’amour. »