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Page:La Rochefoucauld - Œuvres, Hachette, t1, 1868.djvu/271

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ET MAXIMES MORALES

CCLV

Tous les sentiments ont chacun un ton de voix, des gestes[1] et des mines qui leur sont propres, et ce rapport, bon ou mauvais, agréable ou désagréable, est ce qui fait que les personnes[2] plaisent ou déplaisent. (éd. 1*.)

CCLVI

Dans toutes les professions, chacun affecte une mine et un extérieur, pour paroître ce qu’il veut qu’on le croie : ainsi on peut dire que le monde n’est composé que de mines[3]. (éd. 1*.)


    Le même (article XXV, 49) : « Fausse humilité, orgueil. » — On sent que le Tartuffe n’est pas loin ; il a paru deux ans après la maxime de la Rochefoucauld, en 1667. — La Bruyère (de l’Homme, n° 66) : « On ne voit point mieux le ridicule de la vanité, et combien elle est un vice honteux, qu’en ce qu’elle n’ose se montrer, et qu’elle se cache souvent sous les apparences de son contraire. » — Voyez les maximes 33, 358, 534, 537 et 563.

  1. Var. : un geste. (1665.)
  2. Var. : … qui leur sont propres ; ce rapport, bon ou mauvais. fait les bons ou les mauvais comédiens, et c’est ce qui fait aussi que les personnes… (1665.) — Les peines et les sentiments ont chacun un ton de voix, une action et un air de visage qui leur sont propres ; c’est ce qui fait les bons ou les mauvais comédiens… (Manuscrit.) — Voyez la maxime 240, et les 3e et 4e Réflexions diverses.
  3. Var. : Dans toutes les professions et dans tous les arts, chacun se fait une mine et un extérieur qu’il met en la place de la chose dont il veut avoir le mérite : de sorte que tout le monde n’est composé que de mines, et c’est inutilement que nous travaillons à y trouver (1665 G : à trouver) rien de réel. (Manuscrit et i665 ; dans le manuscrit : à y trouver les choses.) — Montaigne (Essais, livre III, chapitre x, tome IV, p. 15 et 16) : « La pluspart de nos vacations sont farcesques ; mundus vniuersus exercet histrioniam (a) l’en veois qui se transforment et se transsubstancient en autant de nouuelles figures et de nouueaux estres qu’ils entreprennent de charges. » — Charron (de la Sagesse, livre I, chapitre xxxvi) : « Nous ne vivons que par relation à aultruy ; nous ne nous soucions pas tant quels nous soyons en nous en effect et en vérité, comme quels nous soyons en la cognoissance publique ; » et (livre II, chapitre ii) : « Vn chascun de nous ioue deux roolles et deux personnages : l’vn estranger et apparent, l’autre propre et essentiel. Il faut discerner la peau de la chemise. » — Pascal (Pensées, article II, i) : « Nous ne nous contenions pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être : nous voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paroître. » — J. J. Rousseau (Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, vers la fin) : « Il fallut, pour son avantage, se montrer autre que ce qu’on étoit en effet. Être et paroître devinrent deux choses tout à fait différentes. … L’homme sociable, toujours hors de lui, ne sait vivre que dans l’opinion des autres… Nous n’avons qu’un extérieur trompeur. » — Mme de Sablé (maxime 19) : « L’on se soucie davantage de paroître tel qu’on doit être, que d’être en effet ce qu’on doit. » — Voyez la maxime 170, et les 2e et 3e Réflexions diverses.

    (a) Expression de Pétrone, citée en ces termes par Jean de Sarisbery (Joannis Saresbirtensis Policraticus, livre III chapitre viii) : Fere totus mundus, juxta Petronium, exercet histrioiem (var. : histrioniam). — L’annotateur contemporain et Amelot de la Houssaye attribuent cette phrase latine à Sénèque.