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RÉFLEXIONS OU SENTENCES

CCLVII

La gravité est un mystère du corps inventé pour cacher les défauts de l’esprit[1]. (éd. 1*.)


    substancient en autant de nouuelles figures et de nouueaux estres qu’ils entreprennent de charges. » — Charron (de la Sagesse, livre I, chapitre xxxvi) : « Nous ne viuons que par relation à aultruy ; nous ne nous soucions pas tant quels nous soyons en nous en effect et en vérité, comme quels nous soyons en la cognoissance pulilique ; » et (livre II, chapitre ii) : «  chascun de nous ioue deux roolles et deux personnages : l’vn estranger et apparent, l’autre propre et essentiel. Il faut discerner la peau de la chemise, » — Pascal (Pensées, article II, 1) : « Nous ne nous contenions pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être : nous voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paroître. » — J. J. Rousseau (Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, vers la fin) : « Il fallut, pour son avantage, se montrer autre que ce qu’on étoit en effet. Être et paroître devinrent deux choses tout à fait différentes. … L’homme sociable, toujours hors de lui, ne sait vivre que dans l’opinion des autres… Nous n’avons qu’un extérieur trompeur. » — Mme de Sablé (maxime 19) : « L’on se soucie davantage de paroître tel qu’on doit être, que d’être en effet ce qu’on doit. » — Voyez la maxime 170, et les 2e et 3e Réflexions diverses.

  1. Var. : La gravité est un mystère de corps qu’on a trouvé pour cacher le défaut d’esprit. (Manuscrit.) — Selon l’abbé Brotier (Observations, p. 522), « les sentiments ont toujours été partagés » sur cette réflexion. La Rochefoucauld consulta le grand Arnauld et Ninon de l’Enclos ; Arnauld prit le parti de la maxime, Ninon la condamna, et la Rochefoucauld ne l’en conserva pas moins, sans y rien changer. Sans doute, ajoute Brotier, il faut « un peu de mystère dans les pensées délicates ; mais ce mystère du corps n’est-il pas lui-même un peu trop mystérieux ? » Il n’en donne pas moins cette pensée pour très-ingénieuse et très-belle ; il la compare à « ces beautés du Guide, qui seroient peut-être moins piquantes, si elles étoient plus régulières. » — Amelot de la Houssaye cite cette réflexion d’un écrivain espagnol : « Tels n’ont que la façade, comme ces édifices qui demeurent inachevés, faute d’argent ; au dehors, c’est l’air d’un palais ; au dedans, c’est une masure, »