Aller au contenu

Page:La Rochefoucauld - Œuvres, Hachette, t1, 1868.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
142
RÉFLEXIONS OU SENTENCES

veut trouver des coupables, et on ne veut pas se donner la peine d’examiner les crimes[1]. (éd. 1*.)

CCLXVIII

Nous récusons des juges pour les plus petits intérêts, et nous voulons bien que notre réputation et notre gloire dépendent du jugement des hommes, qui nous sont tous contraires, ou par leur jalousie, ou par leur préoccupation, ou par leur peu de lumière ; et ce n’est que pour les faire prononcer en notre faveur que nous exposons, en tant de manières, notre repos et notre vie[2]. (éd. 1*.)


    l’avoir assez examiné, est un effet de la paresse et de l’orgueil. (1665.) — est souvent un effet de paresse, qui se joint à l’orgueil. (Manuscrit.)

  1. Il semble qu’ici le mot crimes soit pris au sens du latin crimen, griefs, chefs d’accusation. — Voyez les maximes 31, 397, 483 et 513. — Mme de Sablé (maxime 61) : « Il n’y a rien qui n’ait quelque perfection : c’est le bonheur du bon goût de la trouver en chaque chose ; mais la malignité naturelle fait souvent découvrir un vice entre plusieurs vertus, pour le relever et le publier, ce qui est plutôt une marque de mauvais naturel qu’un avantage du discernement, et c’est bien mal passer sa vie, que de se nourrir toujours des imperfections d’autrui. »
  2. Var. : Nous récusons tous les jours des juges pour les plus petits intérêts, et nous faisons dépendre notre gloire et notre réputation, qui sont les plus grands biens du monde, du jugement des hommes, qui nous sont tous contraires, ou par leur jalousie, ou par leur malignité, ou par leur préoccupation (a), ou par leur sottise ; et c’est pour obtenir d’eux un arrêt en notre faveur, que nous exposons notre repos et notre vie, en cent manières, et que nous la condamnons à une infinité de soucis, de peines et de travaux. (1665.) — La Bruvère dit de même (de l’Homme, n° 76) : « Nous cherchons notre bonheur hors de nous-mêmes, et dans l’opinion des hommes, que nous connoissous flatteurs, peu sincères, sans équité, pleins d’envie, de caprices et de préventions : quelle bizarrerie ! » — Boileau (épitre III, vers 28-30) :

    Des jugements d’autrui nous tremblons follement,
    Et chacun l’un de l’autre adorant les caprices,
    Nous cherchons hors de nous nos vertus et nos vices.

    — J. J. Rousseau (Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes) : « Il y a une sorte d’hommes qui savent être heureux et contents d’eux-mêmes sur le témoignage d’autrui, plutôt que sur le leur propre. » — Vauvenargues réfute ainsi la Rochefoucauld (p. 83) : « Il n’est pas vrai que les hommes nous soient tous contraires ; plusieurs sont préoccupés en notre faveur, par leur propre intérêt, ou par les ressemblances qu’ils ont avec nous. D’ailleurs, quand nous récusons des juges pour un intérêt de fortune, c’est parce qu’on peut nous en donner d’autres ; mais lorsque nous nous remettons de notre gloire au jugement des hommes, c’est que nous ne pouvons l’obtenir que des hommes, et qu’il n’existe pas pour nous d’autre tribunal : encore se trouve-t-il des opiniâtres qui en appellent à la postérité. L’auteur des Maximes se trompe donc, ainsi que la plupart des philosophes ; les hommes sont inconséquents dans leurs opinions ; mais, dans la conduite de leurs intérêts, ils ont un instinct qui les dirige, et la nature, qui préside à leurs passions, sauve presque toujours leur cœur des contradictions de leur esprit. »

    (a) Ces mots : « ou par leur préoccupation, » manquent dans 1665 C, qui, à la fin de la maxime, omet aussi de devant travaux.