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MAXIMES SUPPRIMÉES

PAR L’AUTEUR.


DLXIII

L’amour-propre est l’amour de soi-même et de toutes choses pour soi[1] ; il rend les hommes idolâtres d’eux-mêmes, et les rendrait les tyrans des autres, si la fortune leur en donnait les moyens. Il ne se repose jamais hors de soi, et ne s’arrête dans les sujets étrangers que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre. Rien n’est si impétueux que ses désirs[2] ; rien de si caché que ses desseins, rien de si habile que ses conduites ; ses souplesses ne se peuvent représenter, ses transformations passent celles des métamorphoses, et ses raffinements ceux de la chimie. On ne peut sonder la profondeur, ni percer les ténèbres de ses abîmes : là il est à couvert des yeux les plus pénétrants ; il y[3] fait mille insensibles tours et retours ; là il est souvent invisible à lui-même ; il y conçoit, il y nourrit[4] et il y élève, sans le savoir, un grand nombre d’affections et de haines ; il en forme de si monstrueuses[5] que, lorsqu’il les a mises au jour, il les méconnaît, ou il ne peut se

  1. Pascal (Pensées, article II, 8) : « La nature de l’amour-propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que soi » — Meré (maxime 531) : « C’est quelque chose de si commun et de si fin que l’intérêt, qu’il est toujours le premier mobile de nos actions, le dernier point de vue de nos entreprises… »
  2. L’édition de 1693 donne : « Il n’est rien de si impétueux que ses désirs. »
  3. Duplessis omet y devant fait, et, deux lignes plus loin, il devant y élève.
  4. Les mots : « il y conçoit, il y nourrit », manquent dans l’impression de 1665 C.
  5. Il y a monstreuses dans les impressions de 1665 A et D ; monstrueuses dans celles de 1665 B et C, et dans l’édition de 1693.