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SUR LA ROCHEFOUCAULD

sœur, et, d’autre part, celui de Mme  de Longueville pour le duc d’Enghien ne laissaient pas de donner lieu à de méchants propos. La duchesse avait montré, de bonne heure, une ardente imagination, qui, tournée d’abord vers les choses du Ciel, fut ramenée ensuite impétueusement vers le monde. À l’époque où Marcillac commença ses assiduités auprès d’elle, elle semblait avoir ajourné le soin de son salut. Elle et lui avaient alors plus d’un trait commun dans l’esprit et le cœur : ils étaient épris tous deux des beaux sentiments, engoués du sublime des passions, tous deux d’abord généreux et naïfs jusqu’en leur ambition. Leurs défauts les rapprochaient non moins que leurs qualités ; manifestement sincères au début, ils furent également dupes peut-être de l’idée imaginaire et surfaite qu’ils avaient prise l’un de l’autre. Il est vrai que la Rochefoucauld, dans ses Mémoires[1], semble venir lui-même à l’appui de la thèse soutenue par V. Cousin : il affecte de se donner pour un roué qui a savamment machiné d’avance le théâtre de son ambition, et qui n’a cherché dans l’amour d’une princesse du sang, telle que la sœur du grand Condé, qu’un instrument, et, comme dit Retz[2], qu’un « hausse-pied » de sa fortune. N’en déplaise au duc lui-même, l’auteur de tant de maximes sur l’amour n’a point porté d’un cœur si léger cet illustre attachement : le prendre au mot sur ce point, ce serait trop de déférence pour la lettre écrite. Lui-même a laissé percer la vérité dans des aveux significatifs, dont le sens est encore éclairci par des témoignages contemporains : « Un honnête homme, dit-il, peut être amoureux comme un fou, mais non pas comme un sot[3]. » Or, sa liaison avec la duchesse ayant mal tourné, il aurait craint, en avouant qu’il a été l’un, de paraître avoir été l’autre. Ce qui domine chez lui, c’est le soin de sa considération : il n’est occupé qu’à se couvrir, qu’à sauver, aux yeux du monde, son personnage. Puis il aime mieux calomnier son cœur que de faire tort à son jugement. Mme  de Sévigné, qui le connaissait bien, dit qu’il ne redoutait rien tant que le ridicule[4], et lui-même a écrit cette phrase : « Le ridicule déshonore plus que le déshonneur[5]. » C’est pourquoi il veut qu’on sache que

  1. Pages 94-96.
  2. Tome III, p. 386.
  3. Maxime 353.
  4. Lettre du 8 juillet 1672, tome III, p. 142.
  5. Maxime 326.