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NOTICE BIOGRAPHIQUE

les circonstances et les personnes ont pu manquer à ses desseins mais que du moins il ne s’est pas manqué à lui-même ; il veut donner à entendre que, si sa noble amie et les hommes l’ont déçu, il ne s’est pas trompé lui-même ; que, si l’amour lui fut infidèle, il en a pris son parti d’autant mieux que l’amour, pour lui, était le moyen et non le but. De cette froideur et force d’âme il a réussi à persuader jusqu’à ses amis intimes. Mme de Motteville, qui sans doute l’aimait peu, n’est pas seule à dire de lui[1] : « Ce seigneur qui étoit peut-être plus intéressé qu’il n’étoit tendre. » Mme de Sévigné, qui le goûtait fort et l’avait beaucoup pratiqué, rend le même témoignage : « Je ne crois pas que ce qui s’appelle amoureux, il l’ait jamais été[2]. » Mais, à y regarder de près, cette vanterie d’insensibilité paraît peu d’accord avec les faits. Assurément, dans le plein mouvement de la Fronde, quand le premier enivrement de la passion et de la vanité fut quelque peu apaisé, l’ambition et le calcul furent aussi de la partie ; mais la Rochefoucauld n’eut pas dès le début ces arrière-pensées dont il fait parade, et surtout elles ne furent pas son principal et unique mobile. Voyons-le pendant la période qui suit immédiatement la liaison. Agit-il ? Non. Est-ce bien la conduite d’un intrigant « au long espoir et aux vastes pensées, » qui, sûr désormais d’un auxiliaire puissant, donne hardiment le coup d’épaule à sa fortune ? N’est-ce pas plutôt l’indolence d’un amant satisfait, tout aux douceurs de l’heure présente ? Il n’y a pas à en douter, il a aimé passionnément Mme de Longueville ; celle-ci a été la seule affection ardente et opiniâtre de sa jeunesse ; il a souffert cruellement de l’avoir perdue ; il a tant souffert qu’il s’est vengé. L’image de la duchesse est restée longtemps au fond de son cœur blessé, et c’est la douce et sereine Mme de la Fayette qui eut plus tard cette plaie à panser. Qui donc, sinon Mme de Longueville, aurait initié la Rochefoucauld à toutes les tortures de la jalousie, tortures qu’il a si longuement et si minutieusement analysées dans ses Maximes[3] ? On

  1. Mémoires de Mme de Motteville, tome II, p. 275.
  2. Lettre du 7 octobre 1676, tome V, p. 90.
  3. Voyez les maximes indiquées à la Table du tome I, aux mots Jalousie et Amour.