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RÉFLEXIONS DIVERSES

moins belle aura de beau[1], et empêchera de paroître ce qui est de vrai et de beau dans l’autre[2].

II. — de la société.

Mon dessein n’est pas de parler de l’amitié en parlant de la société ; bien qu’elles aient quelque rapport, elles sont néanmoins très-différentes : la première a plus d’élévation et de dignité[3], et le plus grand mérite de l’autre, c’est de lui ressembler. Je ne parlerai donc présentement que du commerce particulier que les honnêtes gens doivent avoir ensemble.

Il seroit inutile de dire combien la société est nécessaire aux hommes : tous la désirent et tous la cherchent, mais peu se servent des moyens de la rendre agréable et de la faire durer. Chacun veut trouver son plaisir et ses avantages aux dépens des autres ; on se préfère toujours à ceux avec qui on se propose de vivre[4], et on leur fait presque toujours sentir cette préférence ; c’est ce qui trouble et qui détruit[5] la société. Il faudroit du moins savoir cacher ce désir de préférence, puisqu’il est trop naturel en nous pour nous en pouvoir défaire ; il faudroit faire son plaisir de celui des autres, ménager leur amour-propre, et ne le blesser jamais.

L’esprit a beaucoup de part à un si grand ouvrage, mais il ne suffit pas seul pour nous conduire dans les

  1. « Aura de lueur. » (Édition de M. de Barthélémy.) — À la ligne précédente, la même édition donne la couleur, au lieu de les couleurs.
  2. Voyez la maxime 626, et la Lettre du chevalier de Meré.
  3. Tel est le texte du manuscrit, au lieu d’humilité, que donnent toutes les éditions, et qui n’a pas ici de sens. — À la ligne suivante, elles ont substitué est à c’est.
  4. Voyez les maximes 81 et 83.
  5. Dans les éditions postérieures à 1731 : « et ce qui détruit. »