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Page:La Rochefoucauld - Œuvres, Hachette, t1, 1868.djvu/420

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RÉFLEXIONS DIVERSES

au divertissement des personnes avec qui on veut vivre ; mais il ne faut pas être toujours chargé du soin d’y contribuer. La complaisance est nécessaire dans la société, mais elle doit avoir des bornes : elle devient une servitude quand elle est excessive ; il faut du moins qu’elle paroisse libre, et qu’en suivant le sentiment de nos amis, ils soient persuadés que c’est le nôtre aussi que nous suivons.

Il faut être facile à excuser nos amis, quand leurs défauts sont nés avec eux, et qu’ils sont moindres que leurs bonnes qualités ; il faut surtout[1] éviter de leur faire voir qu’on les ait remarqués[2] et qu’on en soit choqué, et l’on doit essayer de faire en sorte qu’ils puissent s’en apercevoir eux-mêmes, pour leur laisser le mérite de s’en corriger.

Il y a une sorte de politesse qui est nécessaire dans le commerce des honnêtes gens : elle leur fait entendre raillerie, et elle les empêche d’être choqués et de choquer les autres par de certaines façons de parler trop sèches et trop dures, qui échappent souvent sans y penser, quand on soutient son opinion avec chaleur[3].

Le commerce des honnêtes gens ne peut subsister sans une certaine sorte de confiance ; elle doit être commune entre eux ; il faut que chacun ait un air de sûreté et de

  1. Les diverses éditions donnent souvent, au lieu de surtout. — À la ligne suivante, elles coupent la phrase après choqué, et en commencent une nouvelle par : « On doit, etc. »
  2. Duplessis (p. 219) estime que « l’excellent conseil donné ici part d’un sentiment bien plus juste et bien plus conforme à la véritable amitié que la maxime 410, dure pour le fond et même parla forme. » — Voyez la 18e des Réflexions diverses.
  3. Dans son Portrait (ci-dessus, p. 8), l’auteur s’accuse lui-même de soutenir d’ordinaire son opinion avec trop de chaleur. Segrais dit pourtant (Mémoires, p. 170) : « M. de la Rochefoucauld ne contestoit jamais. Quand quelqu’un lui avoit dit un sentiment différent du sien qu’il crovoit être bon : Monsieur, disoit-il, vous êtes de ce sentiment-là, et moi je suis d^un autre. On en demeuroit là sans se mettre en colère de part ni d’autre. »