Page:La Rochefoucauld - Œuvres, Hachette, t1, 1868.djvu/539

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Je sens que de la machine
Les invisibles ressorts.
Bien que l’âme soit divine,
L’unissent avec le corps.
A-t-elle quelque amertume ?
Le corps s’abat, se consume.
Et partage son ennui ;
Aux douleurs est-il en proie ?
L’âme ne sent plus de joie
Et s’affoiblit avec lui ’.

Tels, dans les transports qu’inspire
Cette agréable saison
Où le cœur à son empire
Assujettit la raison ;
Tels, dis-je, dans la jeunesse,
Pleins d’une vive tendresse
On voit deux parfaits amants
Que la sympathie assemble
Faire et partager ensemble
Leurs plaisirs et leurs tourments.

Damon, dans tout ce qu’on nomme
Vulgairement un malheur,
On s’abuse ; il n’est pour l’homme
De vrai mal que la douleur’.
L’exil, l’obscure naissance,
La servile dépendance.
Le mépris, l’oppression,
La pauvreté, qu’on déteste,
Le trépas, et tout le reste ,
Sont des maux d’opinion.

Dans l’heureux siècle où sans guide
On laissoit aller les mœurs.
L’homme n’étoit point avide
De richesses ni d’honneurs;
Il vivoit de fruits sauvages,
Dormoit sous les frais ombrages,
Buvoit dans un clair ruisseau ;
Sans bien, sans rang, sans envie,
Comme il entroit à la vie.
Il entroit dans le tombeau.

1. Voyez ci-dessus, p. SgS, la Lettre du chevalier de Mère,

2. Mme des Hou’ières appartenait à la secte des esprits jbrts et de» épicuriens^ dont la tradition, comme le fait remarquer M. Sainte-Beuve, ywf ininterrompue au dix-septième siècle (Purt-Royul, tuiae III, p. ’?-jZ)’