la Roche-Guyon[1]. Le lecteur partagera nos regrets, qu’il était de notre devoir de lui exprimer : non pas que dans ce mystérieux recueil, s’il est vraiment de la Rochefoucauld, on puisse s’attendre à trouver la verve et le souffle poétiques ; mais il eût été, en tout cas, curieux de voir si notre auteur mettait dans sa versification ces qualités délicates de style et ce souci minutieux de la forme par lesquels se distinguent les Maximes.
C’était alors le plus beau moment de cette littérature aimable et facile qui, née à l’hôtel de Rambouillet, se développa, côte à côte, avec les romans de longue haleine mis à la mode par d’Urfé[2]. Chez la belle Arthénice, c’était de petits vers, de sonnets, de rondeaux, de quatrains que les beaux esprits faisaient assaut. Parfois on rédigeait en forme de roman des histoires véritables du temps[3]. Ailleurs, au Luxembourg, chez Mademoiselle de Montpensier, on cultivait le genre des Portraits. La Rochefoucauld, qui fréquenta aussi ce salon, s’y peignit lui-même en passant[4]. Enfin, chez Mme de Sablé, on jouait aux sentences et maximes, et c’est là qu’à force, en quelque sorte, de se piquer au jeu, notre auteur a fait le beau livre que l’on connaît. « Ôtez la société du Luxembourg, dit avec raison Cousin, et les Divers Portraits de Mademoiselle, vous n’auriez jamais eu le Portrait de la Rochefoucauld par lui-même ; de même, ôtez la société de Mme de Sablé et la passion des sentences et des pensées qui y régnait, jamais la Rochefoucauld n’eût songé ni à composer ni à publier son livre[5]. »
Cela est vrai, et l’illustre fortune de ce livre des Maximes n’en doit pas faire oublier l’origine un peu frivole. En littérature comme en politique, la Rochefoucauld, esprit vif, éveillé, ingénieux, est homme d’occasion, n’a ni l’attaque ni l’initiative ; il vient ici à la suite d’une femme, et d’un écrivain de troi-
- ↑ Œuvres inédites de la Rochefoucauld, Préface, p. 7 et 8.
- ↑ L’Astrée, 1610.
- ↑ Voyez, au chapitre iii de la Jeunesse de Mme de Longueville, p. 237-265, l’Histoire d’Agésilan et d’Isménie.
- ↑ Portrait du duc de la Rochefoucauld fait par lui-même, publié en 1659, dans un recueil intitulé : Recueil des portraits et éloges en vers et en prose : voyez ci-après (p. 1-11) ce portrait et la notice qui le précède.
- ↑ Madame de Sablé, 2e édition, p. 137.