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SUR LA ROCHEFOUCAULD

sième ordre, Mme  de Sable et Jacques Esprit[1] ; mais cette fois du moins, plus heureux et plus habile que dans les intrigues de la Fronde, il ne tarde pas à devancer ses guides, à prendre le pas, et, dès qu’il l’a pris, il le garde. Imitateur quant au genre, n’ayant pas même toujours le mérite de l’idée, il a celui de la mise en œuvre ; avec un talent merveilleux, il travaille et cisèle la matière légère que parfois d’autres lui ont fournie : in tenui labor, at tennis non gloria[2], et, chose rare en tous les temps, d’un succès de salon et de ruelles il se fait un titre de gloire que le temps a confirmé.

Il serait oiseux de revenir en détail sur la façon dont furent composées les Maximes de la Rochefoucauld ; c’est un chapitre de notre histoire littéraire aujourd’hui connu de tout le monde, et que chacun peut reconstruire à l’aide du recueil de lettres publié dans le tome III de notre édition. Un sujet de sentence, mis sur le tapis, soit chez le duc[3], soit chez Mme  de Sablé, dans son salon du faubourg Saint-Jacques, était discuté en petit comité ; chacun donnait son mot, son avis ; le travail se continuait même par lettres, comme le prouve la correspondance de la Rochefoucauld[4]. Pour ce dernier, cette sorte de critique à la ronde était la pierre de touche ; le goût sûr de

  1. L’année même de la mort de Mme  de Sablé (1678), on publia un petit recueil de ses Maximes et Pensées diverses : « C’est plus judicieux que piquant, dit Sainte-Beuve ; le tour y manque, ou du moins n’y est pas excellent. Ce sont des épreuves d’essai : la Rochefoucauld seul a la médaille parfaite. » (Port-Royal, tome V, p. 69.) — Le livre d’Esprit a pour titre : la Fausseté des vertus humaines, 2 vol. in-12, Paris, 1677-1678.
  2. Virgile, Géorgiques, livre IV, vers 6.
  3. Il logeait à la fin de sa vie, comme nous le voyons par son acte de décès (ci-après, p. xcii, note 4), et sans doute habita dans ses dernières années, rue de Seine, dans l’ancien hôtel de Liancourt, devenu l’hôtel de la Rochefoucauld en 1674, à la mort de son oncle maternel, Roger du Plessis (voyez notre tome III, p. 16, note i), qui eut pour unique héritière sa petite-fille, mariée, en 1659, à François VII, fils de notre auteur : voyez ci-après l’appendice vi (p. cx).
  4. On voit dans le tome XIII, fol. 122, des Portefeuilles de Vallant, qu’il y avait comme un greffier de ces sentences ; à la fin d’une copie de lettre, non signée, se lisent ces mots : « Je vous supplie, Madame,