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NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE

Mme de Sablé la rendait très-propre à cette entremise littéraire ; mais, il ne faut pas s’y tromper, lorsque la sentence, après avoir couru les salons et les alcôves, revenait à la Rochefoucauld, celui-ci, par un dernier tour de main, lui imprimait définitivement la marque propre de son style et de son humeur. « Il y a, lisons-nous dans le Grand Cyrus[1], un biais de dire les choses qui leur donne un nouveau prix ; » c’est par ce biais, dans la bonne acception du mot, que triomphait le noble écrivain. Formé non par l’étude, mais par l’expérience des intrigues, il mit tout de suite dans son style ces facultés de finesse un peu subtile et de réflexion laborieuse, cet art poussé jusqu’à l’artifice, qu’il avait en vain déployés pour sa fortune politique. Ces maximes cherchées, trouvées, élaborées une à une, allaient merveilleusement à son esprit indolent et mélancolique, qui avait une admirable pénétration, mais qui, ce semble, manquait d’étendue, qui excellait dans le détail, mais que nous ne voyons apte à rien concevoir d’ensemble. N’avoir à la fois qu’une seule idée, qu’on tourne et retourne en tous sens, arriver par ce labeur patient, qui, au fond, est plaisir plus encore que labeur, à ce qu’on appelait le grand fin, le fin du fin : quelle manière douce et commode d’être occupé, très-occupé même, au hasard et au jour le jour, pour un homme qui, de sa vie, n’avait eu dans sa conduite ni plan ni méthode ! quelle occasion aussi de se soulager des mécomptes subis, de calomnier les hommes pour se venger de ne les avoir pu gouverner, d’ôter les masques enfin et de faire voir ces dessous de cartes dont parle Mme de Sévigné[2] !

Il y avait bien six ou sept ans que la Rochefoucauld travaillait à ses Maximes, lorsqu’il se résolut à les publier. Elles parurent en 1665, la même année que les Contes de la Fontaine. On sait qu’à ce moment solennel de la mise au jour, il y eut, sous la présidence de Mme de Sablé, une dernière consultation des beaux esprits des deux sexes : la comtesse de Maure, la princesse de Guémené, la duchesse de Liancourt, Mme de


    de vouloir bien donner à celui qui a le greffe de nos sentences copie de celles que je vous envoie, en cas que vous les approuviez. »

  1. Tome X, livre II, p. 892.
  2. Lettre du 24 juillet 1675, tome III, p. 522.