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— IX —

qui se borne à classer, à énumérer et à dater les faits, suivant le procédé d’Ari le Savant dans son Livre des Islandais, la présence d’épisodes de ce genre ne se justifie guère. Mais l’histoire, considérée dans sa mission plus noble et plus vaste, qui consiste à dépeindre et à juger une époque, à tracer un tableau vivant et fidèle des mœurs, des idées et des institutions, à dégager la psychologie des événements et à en tirer, sous le rapport social et moral, des conclusions et des leçons qui servent à l’édification des esprits, cette histoire vraiment humaine peut pénétrer plus loin que la réalité matérielle et tangible, sans cesser d’être de l’histoire.

C’est précisément ce que fait la saga d’Egil. Sous une forme qui flatte à la fois notre imagination et notre désir de savoir, elle offre un habile mélange de fiction et de vérité. Sur des données historiques, puisées dans les documents écrits et dans les traditions de famille, l’écrivain brode à sa guise et combine avec une adresse merveilleuse des scènes pittoresques ou touchantes, soit pour suppléer à un manque de continuité, soit pour marquer la causalité de certains faits, soit enfin dans l’unique intention de produire de l’effet et de relever le côté esthétique de son œuvre. Aux récits authentiques il mêle des épisodes imaginaires ou fortement modifiés dans leur essence et leurs contours, parfois embellis jusqu’à l’invraisemblance.

En agissant ainsi, l’historien a cédé la place au conteur et au poète. Et le poète, a-t-il outrepassé ses droits ? Certes, non. Il importait pour lui de glorifier ses personnages, de créer une légende autour de leur nom, d’idéaliser une famille à laquelle il appartenait vraisemblablement lui-même. Il s’est rendu compte de l’efficacité des moyens que l’art mettait à sa disposition ; il en a usé à bon escient et dans le but de faire impression ou de créer des émotions. Il a voulu frapper l’imagination et par fois forcer l’admiration. Le peuple, incapable dans son éducation fruste de faire la part du vrai, restait ému, ébloui par ces prodiges de force, de bravoure et d’audace qui flattaient et stimulaient sa fierté scandinave. Ce peuple, qui avait soif d’idéal,