Page:La Saga du scalde Egil Skallagrimsson, trad. Wagner, 1925.djvu/22

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qui adorait la poésie et les histoires émouvantes, qui se berçait si volontiers de rêves et d’illusions, ce peuple demeurait inaccessible à la méfiance et à l’incrédulité.

Dans ces conditions, la tâche du poète-historien était, par certains côtés, relativement facile. Les exagérations, les invraisemblances, le surnaturel, tout avait prise sur le sentiment impressionnable du public auquel il s’adressait. Parmi les détails qui relèvent de la fantaisie, les uns faisaient partie des idées traditionnelles solidement ancrées dans les convictions, les autres s’harmonisaient avec cette tendance irrésistible qu’éprouvent tous les peuples jeunes à voir tout en grand et en beau. Les contradictions passaient inaperçues et l’on ne soupçonnait pas les atteintes portées à la vérité historique. Le narrateur a pu ainsi user de tous les artifices propres à mettre en branle l’imagination de ses compatriotes. Dans la description des combats, dans l’intervention du merveilleux, les pratiques de la magie, les prophéties, il a trouvé une abondance de ressources variées, et il les a exploitées avec un talent, on pourrait dire avec une audace, dont peu d’autres sagas nous offrent l’exemple.

Peut-on aller jusqu’à prétendre que la saga soit une œuvre tendancieuse, inspirée par un étroit égoïsme de famille ? La question a été soulevée, sans recevoir une solution définitive. L’auteur, à n’en pas douter, a voulu couvrir d’un reflet de gloire et d’immortalité plusieurs générations de la puissante famille islandaise des Sturlungar. Dans la quantité de détails que lui fournissaient les traditions orales et les documents écrits, il a fait un choix judicieux, élaguant, modifiant, amplifiant, inventant au gré de sa fantaisie. Il a embelli des scènes, renforcé des situations, idéalisé des figures, empreignant ainsi toute l’histoire d’une saveur foncièrement poétique qui met en relief ce que la réalité présente de particulièrement touchant. La tendance existe donc, sans qu’elle soit nettement caractérisée. L’écrivain a su la dissimuler avec un art remarquable, et la maîtrise avec laquelle il domine et manie sa matière suffit à réduire à néant les reproches qu’il pourrait encourir de ce chef. Ses contempo-