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L’IDÉAL ET LA JEUNESSE


Si le mot « Idéal » a réellement un sens, il ne suffit pas d’y voir un simple désir du mieux, une languissante recherche du bonheur, une vague et mélancolique appétence d’un monde moins odieux que notre société contemporaine, mais il importe de lui trouver une valeur précise, de déterminer dans la plénitude de notre intelligence et de notre volonté l’objet de nos incessantes inspirations. Quel est donc cet Idéal ?

Pour les uns, il consisterait à revenir résolument en arrière vers l’enfance des sociétés, à renier la science, à se prosterner de nouveau devant un Sinaï tonnant, sous l’œil d’un Moïse redouté, interprète souverain des lois divines. À cet idéal de l’obéissance et du renoncement parfaits les anarchistes en opposent un autre qui comporte la liberté complète de l’individu et le fonctionnement spontané de la société par la suppression du privilège et du caprice gouvernemental, par la destruction du monopole de propriété, par le respect mutuel et l’observation raisonnée des lois naturelles. Entre ces deux idéaux, il n’y a pas de moyen terme : conservatisme et modérantisme, libéralisme, progressisme et même socialisme ne sont que des politiques d’expédients, imaginées soit pour revenir en arrière, soit pour louvoyer timidement vers un avenir de liberté. Mais il ne peut y avoir que deux termes à l’ensemble des évolutions. Ou bien l’anéantissement en Dieu, ou bien la parfaite libération de l’homme, devenu son propre maître.

Considérons seulement ce dernier terme, vers lequel se dirigent consciemment ou inconsciemment tous les jeunes, tous ceux qui sentent en eux un puissant afflux de vie. Mais de quelle façon s’y dirigent-ils ? Parmi eux les inconscients dominent. Ils se laissent aller, poussés au hasard, professant volontiers le scepticisme, du moins en paroles, même quand un meilleur instinct les fait agir. Avant tout, il importe de les débarrasser, et de nous débarrasser avec eux, de cette phraséologie du découragement. Sur quel avenir pourrions-nous compter s’il était vrai que, malgré les mille contrastes apparents, il n’y eût rien de nouveau sous le soleil, que les luttes entre

10e Année, I.
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