Page:La Société nouvelle, année 10, tome 2, 1894.djvu/490

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tions dues au travail combiné de mille inventeurs de tout temps et de toute race, vit des sentiments et des pensées que des millions d’hommes vivent avec lui d’un bout du monde à l’autre.

Les pensers, les sentiments, sinon communs du moins tendant à le devenir, telle est la conséquence d’incalculable portée qu’entraîne cette fusion des histoires locales en histoire universelle. La parole de Pascal : « Vérité en deçà, erreur au delà des Pyrénées ! » se transforme graduellement en un paradoxe. La compréhension des mêmes lois scientifiques formulées en un langage d’une précision et par conséquent d’une identité parfaite, la recherche des mêmes origines intellectuelles, la vénération des mêmes noms historiques, la préoccupation constante des mêmes problèmes politiques et sociaux, la vibration harmonique des évolutions parallèles qui se produisent dans chaque groupe communal ou national, enfin, l’entremêlement croissant des langues, tout cela fait des hommes, si rebelles, si hargneux qu’ils soient à l’amitié, autant de compatriotes et de frères. Sans doute, cette évolution est loin d’être finie et nous assisterons encore à bien des explosions de haines nationales, mais il n’est pas interdit à ceux d’entre nous qui voient et qui prévoient de comprendre le sens des événements, d’en suivre les conséquences, d’en prédire le résultat certain.

L’histoire nous apprend aussi que le travail des hommes associés, aboutissant à la conquête et à l’unification de la surface planétaire, ne s’est point fait d’un mouvement toujours égal et continu. Loin de là : des périodes de réaction ont succédé aux périodes d’action, des reculs ont suivi les progrès ; la poussée générale s’est accomplie par une sorte d’oscillation, par une série d’allées et de venues, comparable au va-et-vient des vagues dans la marée montante ; toujours une alternance de reculs momentanés s’est produite dans la marche collective des hommes. Depuis que la mémoire des événements nous a été conservée par des annales, nous constatons l’accroissement prodigieux des richesses, et nous voyons que dans l’ensemble nous avons progressé en science et en morale aussi bien qu’en avoir : l’humanité a pris conscience d’elle-même en son immense domaine. Mais souvent les phénomènes de régression durèrent si longtemps, s’étendirent en des contrées si vastes que l’on put croire à l’irrémédiable décadence ; on s’imagina que l’âge de fer avait succédé à l’âge d’or et que l’âge de fer lui-même serait suivi par un âge de boue. Pouvait-on échapper à ces illusions quand on voyait des contrées entières retomber dans l’inculture et disparaître les peuples qui les habitaient, quand des centaines, même un millier d’années, comme durant le moyen âge, s’écoulaient dans une sorte de nuit, avant qu’on eût pu retrouver la lumière de la science acquise précédemment, reprendre la connaissance des contrées déjà par-