Page:La Société nouvelle, année 10, tome 2, 1894.djvu/525

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s’évapore en mythes et symboles, se cristallise en dogmes et théologies. Expliquons-nous bien : le mot de « Superstition », nous le comprenons dans son sens rigoureusement étymologique, sans y ajouter aucune nuance de blâme ni de mépris ; il désigne les idées et les sentiments qui ont surnagé des âges lointains jusqu’à nous ; ce sont des survivances. Elles survivent dans l’enfant ; car tout homme qui se développe comme s’est développé l’humanité. Chacun de nous a eu sa période d’ignorance et de naïveté, chacun a suivi avec délices les gestes merveilleux de l’Oiseau bleu couleur du temps, a cru, au moins à demi, au roman Cendrillon, aux exploits du Vent de bise. Y croyait-on vraiment ? Certes. Néanmoins, nous avions le sentiment que c’était là du merveilleux, c’est-à-dire des choses qui ne se voient pas tous les jours, et nous aimions ces contes pour l’état d’âme qu’ils éveillaient. Nous passions de la phase intellectuelle dans laquelle se sont attardés les Primitifs. La texture du cerveau était alors celle de son âge. On imaginait tout, faute de rien savoir, et l’on créait avant d’apprendre. Plus tard, nous amassons des connaissances dites positives, nous les accumulons la vie durant ; heureux si avant de s’en aller nous trouvons le temps de les classer et de les mettre en ordre, de prononcer sur ce qu’elles valent.


Donc, au lieu d’expliquer les superstitions vulgaires par les religions officielles, ainsi que cela se pratique généralement, nous expliquerons les religions par la superstition, grâce à laquelle nous faisons rentrer dans le cercle normal du développement ces religions multiples, qui ont soulevé, chacune se donnant pour la Vérité, et qualifiant sévèrement toutes ses rivales ; nous leur assignons un principe, un développement, une fin ; nous trouvons leur place dans l’évolution universelle.

Appliquée au sujet de notre étude, la méthode est nouvelle, donc attrayante. Elle simplifie les procédés, agrandit et élargit les résultats. Si vous le voulez bien, nous nous mettrons à l’œuvre.


Élie Reclus