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L’ESTHÉTIQUE DE LA VIE

stupéfait, si on pouvait le ramener parmi nous et lui montrer le confort d’une maison aisée de la classe moyenne.

Il y a des gens qui pensent que la possession de ce confort constitue précisément la différence entre la civilisation et la barbarie, qu’il est l’essence même de la civilisation. En est-il réellement ainsi ? Adieu alors nos espérances ? Nous nous imaginions que la civilisation réalisait la paix, l’ordre et la liberté, la bienveillance pour le prochain, l’amour de la vérité et la haine de l’injustice, et par conséquent la vie de bonheur basée sur toutes ces choses, une vie libre de toute crainte vile, mais pleine de variété. Voilà ce qu’elle signifiait dans ma pensée et nullement des chaises rembourrées et des coussins en plus grand nombre, plus de tapis et de gaz, des boissons et des mets plus exquis — et avec tout cela, des différences plus nombreuses et plus tranchantes entre les diverses classes de la société.

Si c’était cela, pour ma part je préférerais ne pas en être et vivre sous une tente dans le désert de la Perse ou dans une hutte de terre sur la côte d’Islande. Quoi qu’il en soit, et je crois que ma manière de voir est la vraie, je vous assure que l’art a horreur de ce côté de la civilisation. Il ne peut respirer dans les maisons qui étouffent sous l’esclavage des coussins.

Croyez-moi, si nous voulons que l’art entre chez nous, comme il le doit, il faut débarrasser nos demeures des superfluités encombrantes, qui sont toujours dans le chemin. Un confort conventionnel n’est pas un confort réel et ne fait que procurer de l’ouvrage aux domestiques et aux docteurs. Si vous voulez une règle d’or, qui convienne à tout le monde, la voici :

« N’ayez chez vous rien que vous ne sachiez utile ou ne croyiez beau. »

Et si on applique cette règle strictement, on montrera d’abord aux bâtisseurs et autres serviteurs du public ce qu’on veut réellement. Un courant de demandes d’art sera créé, comme on dit. Et en second lieu, nous aurons certainement plus d’argent à donner pour établir des maisons convenables.

Peut-être ne mettrai-je pas votre patience trop à l’épreuve, si je vous exposais mes idées sur l’ameublement nécessaire au salon d’une personne bien portante. J’entends une chambre dans laquelle elle n’aurait pas à faire beaucoup de cuisine, ni généralement à dormir, et dans laquelle elle ne devrait pas se livrer à un travail manuel produisant de la poussière.

D’abord une étagère à livres, contenant une grande quantité de livres ; après, une table, bien assujettie lorsque vous y écrivez ou travaillez ; quelques chaises, que vous pouvez déplacer, et un banc pour s’asseoir ou se coucher ; une armoire munie de tiroirs. Vous aurez ensuite sur les murs, à moins que l’étagère ou l’armoire ne soient ornées de peintures et de sculptures, des tableaux ou des gravures, tels que vous pouvez vous en procurer ; seulement pas de bouche-trous, mais de véritables œuvres d’art. Sinon le