leur ensemble, comme un système d’éducation pratique appliqué à la jeunesse italienne, elles produisirent un résultat immense : celui de réveiller, de former, d’inspirer et de constituer cette jeunesse patriotique et d’en faire le vrai germe de la résurrection italienne. Voilà la grande œuvre, l’œuvre immortelle de Mazzini : il a formé cette jeunesse et, par elle, il créa l’Italie telle qu’elle est, oui, mais seulement telle qu’elle est : l’Italie civilisée, lettrée, bourgeoise, l’Italie politique, l’Italie-État, non l’Italie sociale, non l’Italie populaire et vivante. À l’œuvre idéale et politique de Mazzini, il a manqué la consécration du peuple, non cette consécration apparente ou artificielle qui s’obtient par les suffrages politiques de cette abstraction, de ce mensonge politique qu’on appelle le suffrage universel, mais la consécration large et féconde qui ne s’obtient que par la participation réelle et par l’action spontanée de la vie populaire. Toute l’œuvre de Mazzini est restée en dehors de cette vie réelle des masses. Et voilà pourquoi cette œuvre gigantesque, entreprise par le plus grand homme du siècle et accomplie par deux générations de martyrs-héros italiens, semble une œuvre morte, ayant plutôt l’air d’un cadavre qui s’en va en putréfaction que d’un corps puissant et vivant ; et voilà pourquoi, malgré l’idéalisme transcendant de la pensée qui l’a inspirée, l’unité politique créée par Mazzini et plus qu’à demi pourrie aujourd’hui, est devenue l’Eldorado des parasites et des bêtes de proie immondes. Quelque grand que fût le génie d’un homme, il peut bien concevoir une pensée, il peut aussi l’inspirer à des centaines de jeunes gens, mais il ne peut créer la vie, ni la puissance de la vie, car la vie n’est jamais fille de l’abstraction, cette dernière procédant au contraire toujours de la première, et n’en étant jamais qu’une expression incomplète. Le secret et la puissance de la vie ne se trouvent jamais que dans la société, dans le peuple. Et tant que le peuple n’aura point donné sa sanction à une œuvre soi-disant nationale, cette œuvre ne sera jamais réellement nationale ni vivante… L’Italie créée par Mazzini a fatalement abouti à l’Italie des Lauza, des Bonghi, des Covreti et des Visconti-Venosta, à l’Italie des Crispi, Mordini, Nicotera et tutti quanti… Ceci n’a pas été un malheureux accident, mais une nécessité logique et fatale.
Nul ne l’a senti moins que Mazzini. Aussi retrouvez-vous le nom du peuple dans tous ses écrits ; il constitue même le second terme de sa fameuse formule : Dio e Popolo, et Mazzini a toujours déclaré qu’il ne considérera son œuvre comme définitivement accomplie, que lorsqu’elle aura été sanctionnée par le peuple. Mais le peuple dont parle Mazzini n’est pas le peuple réel, considéré dans sa réalité spontanée et vivante — son peuple à lui est un être fictif, abstrait, théologique pour ainsi dire. Les masses populaires, prises dans leur existence naturelle, réelle et vivante, ne constituent à ses