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Page:La Société nouvelle, année 12, tome 1, 1896.djvu/23

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L’ESTHÉTIQUE DE LA VIE

Voilà ce qui me semble marquer le chemin parcouru depuis le moment où l’art populaire prit fin parmi nous, et en considérant où nous en étions alors, je puis dire que le progrès n’a pas été considérable. Il signifie, en effet, que quoique la bataille soit encore à gagner, il y a des hommes prêts à entrer en lutte.

Il y aurait, en vérité, une honte extraordinaire pour notre époque, s’il n’en était pas ainsi. En effet, de même que chaque âge du monde a ses peines à souffrir, ses folies à endurer, il a aussi son œuvre à accomplir, indiquée par les signes infaillibles du temps. Il serait puéril et absurde de la part des fils d’une époque de dire : Nous ne mettrons pas la main à l’ouvrage ; nous ne sommes pas la cause du mal et nous ne nous tourmenterons pas à en rechercher le remède. Ils amasseront de telle sorte pour leurs fils un fardeau trop lourd à supporter et qui les écrasera. Ce n’est pas de cette façon que nos pères ont agi pour nous. Travaillant tôt et tard, ils ont fini par nous laisser ce monde en ébullition, plein de vie et d’ardeur et qui a nom d’Europe moderne. Ce n’est pas ainsi qu’ont agi ceux qui nous ont préparé les jours présents, si féconds en changements et en espoirs merveilleux.

Le siècle qui s’approche de sa fin, si on donnait des surnoms aux siècles, mériterait celui de siècle du commerce. Je ne pense pas à méconnaître l’œuvre qu’il a accomplie. Il a aboli mainte chose malfaisante ; il a infligé bien des leçons que, jusqu’à ce jour, le monde a été lent à retenir. Il a rendu possible la vie en homme libre à celui qui, en d’autres temps, eût été esclave de corps ou d’esprit, ou des deux à la fois. S’il n’a pas absolument répandu la paix et la justice dans le monde, comme on pouvait l’espérer à la fin de sa première moitié, il a suscité du moins de nouveaux efforts pour la paix et la justice. Son œuvre a été bonne et féconde, quoique une grande partie en ait été grossièrement exécutée. Souvent son énergie n’allait pas sans imprévoyance, et trop souvent son zèle non sans aveuglement. Il donnera peut-être assez d’ouvrage au prochain siècle pour réparer les fautes de cette imprévoyance, pour faire table rase de toute la malfaçon empilée par ce travail précipité. Même nous autres, dès maintenant, nous pouvons déjà faire quelque chose pour remettre la maison en ordre.

Vous, par exemple, habitants de cette grande et célèbre cité, si intimement liée à ce siècle de commerce, les avantages que vous avez obtenus sont connus de tout le monde ; mais le prix que vous les avez payés, quelques-uns le savent et vous, mieux que tous autres. Je ne dis pas qu’ils ne valent pas ce prix. Je sais que l’Angleterre, le monde échangerait difficilement le Birmingham d’aujourd’hui contre celui de l’an 1700. Mais en tout cas, si ce que vous avez gagné n’est pas une chose vaine, vous ne pouvez