Page:La Société nouvelle, année 4, tome 2, 1888.djvu/361

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prendre un bain chaud : mais ce remède ne put le guérir ! Alors on appela les rebouteuses. Elles lui donnent à boire, le frottent et font des prières. Le mal résiste ! on le fit ensuite passer trois fois sous une bride couverte de sueur. Puis on plongea le malheureux dans un trou de glace, il se soumettait à tout comme un enfant, — mais il empirait, — il ne mangeait ni ne buvait plus ! « Il faudrait le mettre sous un ours pour qu’il lui presse les os », disait le colporteur Fedia de Sergatsch, qui passait là. Mais Dario, la ménagère, ferma sa porte au conseilleur, et la baba se mit en tête un autre moyen de salut : la nuit, elle se rendit au monastère lointain, à dix verstes du village, un monastère où l’on gardait une certaine écorce miraculeuse commémorative d’une apparition. Elle partit et rapporta l’écorce. Le malade était déjà sans voix, habillé pour la bière et muni des sacrements. Il aperçut sa femme, gémit et mourut…

XIII

…En route, petit cheval ! tire plus fort sur la bride. Tu as déjà beaucoup servi ton patron. Sers-le une dernière fois ! Hein ? Deux glas funèbres, les popes attendent. Marche donc !… Tué de chagrin, le vieux couple, le père et la mère, vont en avant. Les enfants sont assis tous deux auprès du corps, sans oser pleurer, et conduisant le petit cheval, la guide dans les mains, marchent auprès de leur pauvre mère.

Les yeux sont enfoncés dans les orbites et le blanc mouchoir de toile qu’elle porte en signe de deuil n’est pas plus blanc que ses joues. Derrière Dario — les voisins, les voisines marchent en foule compacte causant entre eux des enfants de Prokl, dont le sort n’est pas enviable, disant que Dario aura un surcroît de travail, que de noires journées l’attendent. « Il n’y aura personne pour l’aider », concluent-ils d’une seule voix…

XIV

Selon l’usage, on le descendit dans le trou, on couvrit de terre Prokl ; on pleura, on gémit tout haut, on plaignit la famille, on parla du mort en lui prodiguant des louanges. Le starots lui-même, Sidor Ivanitch, accompagnait à demi-voix les lamentations des babas, et : « Paix à toi, Prokl Sevastianitch ! » dit-il, « tu fus un bon garçon. Tu vécus honnêtement, et surtout, à date fixe (je ne sais comment Dieu te tirait d’affaire !) tu payais toujours la dîme au barine et l’impôt à l’État » ! Ayant épuisé toute sa provision d’éloquence, l’honorable moujik toussota : « Oui, la voilà, la vie humaine ! » Ajouta-t-il et il remit son bonnet. « Il a succombé !… et pourtant il était fort ! Nous succomberons… nous n’éviterons pas le sort commun… » On fit encore des signes de croix sur la tombe et on s’en alla avec Dieu, chacun chez soi.