Page:La Société nouvelle, année 8, tome 1, 1892.djvu/400

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Dans leurs mains le fruit devient douceâtre et trop mou ; leur regard dessèche l’arbre fruitier et le met à la merci du vent. Et plus d’un, qui se détourna de la vie, ne faisait que se détourner de la canaille ; il ne voulait point partager la source, la flamme et le fruit avec la canaille.

Et plus d’un, qui se retira dans le désert et souffrit la soif avec les bêtes féroces, voulait seulement ne point s’asseoir autour de la citerne en compagnie de sales chameliers.

Et plus d’un, qui s’avançait en exterminateur et en coup de grêle pour les champs, voulait seulement pousser son pied dans la gueule de la canaille et ainsi lui boucher le gosier.

Et ce n’est point là la bouchée à laquelle j’étranglai le plus, de savoir que la vie a même besoin d’inimitié, de mort et de martyrisantes croix : Mais je demandai un jour, et j’étoufl’ai presque de ma question : Comment la vie a-t-elle aussi besoin de la canaille ? Les sources empoisonnées, les feux puants, les rêves salis et les vers dans le pain de vie, sont-ils nécessaires ?

Non, point ma haine, mais bien mon dégoût rongea goulûment à ma vie ! Ah. je fus souvent lassé de l’esprit, lorsque je trouvai aussi la canaille spirituelle !

Et je tournai le dos aux dominateurs lorsque je vis ce qu’ils appellent aujourd’hui dominer, brocanter et marchander pour de la puissance avec la canaille !

Parmi les peuples, je demeurai étranger de langue et les oreilles closes, afin de rester étranger à leur langage de brocanteur et à leur marchandage pour de la puissance.

Et me tenant le nez, je traversai tout le hier et aujourd’hui ; en vérité tout le hier et aujourd’hui est empuanté par la canaille écrivassière ! Semblable à un estropié qui devint sourd, aveugle et muet ; ainsi vivai-je longtemps pour ne point vivre avec la canaille du pouvoir, de l’écrit et de la joie.

Péniblement mon esprit monta des marches et avec prudence ; des aumônes de la joie furent sa consolation ; à tàtons s’écoula la vie de l’aveugle. Que m’arriva-t-il donc ? Comment me délivrai-je du dégoût ? Qui rajeunit mon œil ? Comment m’envolai-je sur la hauteur où il n’y a plus de canaille assise à la fontaine ?

Mon dégoût lui-même me créa-t-il des ailes et des forces pressentantes des sources ? En vérité, au plus haut je dus voler pour que je retrouvasse la fontaine de la joie !

Oh, je la trouvai, mes frères ! Ici, au plus haut, me jaillit la fontaine de