Page:La Société nouvelle, année 8, tome 1, 1892.djvu/501

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maisons, avec une laide église au coin et un édifîce à coupole de laideur indescriptible derrière moi ; la route, encombrée par une foule de gens suants et excités, dominée par des omnibus remplis de spectateurs. Au milieu de la place se trouvait un square pavé et une fontaine ; on y voyait seulement quelques hommes habillés de bleu, et un grand nombre de statues de bronze singulièrement disgracieuses (il y en avait une sur le sommet d’une grande colonne). Ce square était gardé au bord de la route par une quadruple rangée d’hommes de haute taille, vêtus d’étoffe de couleur bleue, et vers le côté sud j’apercevais les casques d’une troupe de cavalerie, mortellement blême dans cette glaciale après-midi de novembre. J’ouvris de nouveau mes yeux au soleil, regardai autour de moi et m’écriai, parmi le murmure des arbres et les fleurs odoriférantes : « Trafalgar square ! »

« Oui, dit Dick, qui avait repris les guides, c’est cela. Je ne m’étonne pas que vous trouvez ce nom ridicule ; mais, après tout, ce n’était l’affaire de personne de le changer, puisque « le nom d’une bêtise morte ne mord pas ». Cependant, je pense quelquefois que nous aurions pu donner un nom qui aurait commémoré la grande bataille qui s’est livrée là sur cette place même en 1952, bataille assez importante, si les historiens disent vrai. »

« Ce qu’ils ne font généralement pas, ou du moins ne faisaient pas, reprit le vieillard. Par exemple, que pensez-vous de ceci, voisins ? J’ai lu une description hébétante dans un livre, — o ! un livre stupide ! — nommé James' Social Democratique History, d’une bataille qui eut lieu ici pendant ou vers l’an 1887 (je ne sais pas retenir les dates). Quelques gens, raconte cette histoire, voulaient tenir une assemblée ici, ou quelque chose de ce genre, et le gouvernement de Londres, ou le conseil, ou la commission, ou un autre corps de sots barbares à peine dégrossis tombèrent sur ces citadins (comme on les nommait alors) des armes à la main. Cela semble trop ridicule pour être vrai. »

« Eh bien, dis-je, mais après tout votre monsieur James a raison, quant à ceci du moins, et c’est la vérité ; excepté qu’il n’y eut pas de bataille, mais seulement des gens paisibles et sans armes furent attaqués par des bandits armés de triques. »

« Et ils acceptaient cela ? » reprit Dick, avec la première expression déplaisante que j’avais vue sur sa bonne figure.

Je répondis en rougissant : « Nous devions l’accepter ; nous ne pouvions rien y faire ! ». Le vieillard me regarda vivement et dit : « Vous parraissez connaître beaucoup ces choses, voisin ! Et est-ce réellement vrai que rien n’est arrivé de tout cela ? »

« Il est arrivé ceci, répondis-je, qu’une grande quantité de gens furent envoyés en prison à cause de ces événements. »