Page:La Société nouvelle, année 8, tome 1, 1892.djvu/502

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« Qui, les assommeurs ? demanda le vieillard. Pauvres diables ! »

— « Non, non, les assommés. »

Le vieillard, presque sévèrement, me dit : « Ami, je suppose que vous avez lu quelque collection de mensonges pourris, et que vous vous êtes laissé convaincre trop aisément. »

« Je vous assure, affirmai-je, que ce que j’ai dit est vrai. »

« Bien, bien, je suis sûr que vous pensez ainsi, voisin, reprit-il, mais je ne vois pas pourquoi vous en seriez si persuadé et si certain ».

Comme je ne pouvais pas expliquer pourquoi, je me tus. Pendant ce temps, Dick avait gardé les sourcils froncés et réfléchissait ; à la fin il parla et dit doucement, presque tristement :

« Comme c’est étrange de penser qu’il y a eu des gens comme nous, vivant dans ce beau et heureux pays et qui, je suppose, avaient des sentiments et des affections semblables aux nôtres, et pouvaient cependant faire de si horribles choses. »

« Oui, dis-je sur un ton didactique, pourtant, après tout, même ces temps-là étaient encore bien meilleurs que ceux qui les avaient précédés. N’avez-vous pas lu le récit de la période du moyen-âge et vu la férocité des lois criminelles de cette époque, et comment, dans ces jours, les hommes paraissaient honnêtement jouir de tourmenter leurs semblables ? — Et, pour cela, ils faisaient de leur Dieu un tourmenteur et un geôlier plutôt qu’autre chose. »

« Oui, dit Dick, il y a de bons livres aussi relatant cette période de l’histoire, j’en ai lu quelques-uns. Mais pour ce que vous dites de la grande amélioration du XIXe siècle, je ne la vois pas. Après tout, les gens du moyen-âge agissaient selon leur conscience, comme votre remarque concernant leur Dieu (laquelle est vraie) le montre, et ils étaient prêts à supporter ce qu’ils infligeaient aux autres ; tandis que les gens du XIXe siècle étaient hypocrites et prétendaient être humains, et cependant continuaient à tourmenter ceux qu’ils osaient traiter ainsi en les enfermant dans des prisons, sans aucune raison, excepté qu’ils étaient ce qu’eux-mêmes, les maîtres des prisons, les avaient forcés d’être. Oh ! c’est épouvantable d’y penser. »

« Mais peut-être, répondis-je, ne savaient-ils pas ce que c’était que les prisons. »

Dick paraissait agité, et même fâché.

— « La honte est d’autant plus grande pour eux, alors que vous et moi nous le savons tant d’années après. Voyez-vous, voisin, ils ne pouvaient manquer de savoir quelle disgrâce même la meilleure prison est pour le bien commun. »